Aubane Décobert (stagiaire à la CNAPD) nous propose son regard sur le dossier Julian Assange, sous la forme d’un « p’tit potager de la paix », un nouveau format que mettons à l’essai, telle une chronique laboratoire. Le p’tit potager est ouvert à l’équipe de la CNAPD, bien sûr à nos membres et toutes celleux qui gravitent autour de notre coordination.La Fédération Internationale des Journaliste a lancé un appel au soutien à M. Julian Assange au nom de la liberté de la presse et du droit public à l’information.

RESITUONS LE CONTEXTE DU DOSSIER :

Emprisonné depuis avril 2019 dans la prison à haute sécurité de Belmarsh à l’est de Londres, Julian Assange est sur le point d’être extradé vers les États-Unis à la suite d’un ordre signé par la ministre de l’intérieur britannique, Priti Patel. La décision finale sera prise par la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni et cela probablement dans les semaines ou mois à venir. Son extradition vers les États-Unis, où il risque une peine pouvant aller jusqu’à 175 ans de prison, représenterait un grave danger pour la liberté du journalisme d’investigation.Récemment, Julian Assange a été accusé d’agressions sexuelles. A l’heure actuelle, Julian Assange est toujours présumé innocent. Sujet éminemment sensible étant donné les défaillances de la justice pour le traitement de ces affaires. Si ces actes ont bien été commis, ils doivent être condamnés. Qu’ils aient été commis ou non, ces accusations d’agression sexuelle ne peuvent être instrumentalisées pour réduire la protection des lanceurs·euses d’alerte. Dans un État de droit, il est primordial de protéger les lanceurs·euses d’alerte afin de préserver les droits et libertés de toustes. Il est tout autant primordial de condamner les auteurs·rices agressions sexuelles.Le fondateur de Wikileaks qui avait trouvé asile au sein de l’ambassade d’Équateur à Londres s’y était réfugié afin d’échapper à une extradition vers la Suède. Non pas par crainte des charges qui pesaient contre lui en Suède, mais parce qu’il redoutait une seconde extradition depuis la Suède vers les États-Unis, celle-ci bien plus grave et portant atteinte à ses droits humains.  Inculpé de 18 chefs d’accusation en vertu notamment de l’« Espionage Act » du 15 juin 1917, Assange est accusé d’avoir rendu publics plus de 750000 documents classifiés via Wikileaks, exposant notamment des crimes de guerre états-uniens en Irak et en Afghanistan.Le très controversé « Espionage Act » a été voté en 1917 avant l’entrée en guerre des USA dans la Première Guerre mondiale. Son but était d’éviter l’ingérence étrangère dans les opérations militaires, l’insubordination militaire et le soutien à des ennemis états-uniens pendant la guerre. Cette loi fédérale a cependant été modifiée depuis.Bien qu’il soit sans doute légitime qu’un pays puisse conserver des secrets d’État, il convient de fixer des limites entre l’intérêt de l’État et celui de sa population, voire de l’humanité. Rendre un gouvernement intouchable sous la protection d’une telle loi remet en question les principes démocratiques en empêchant tout contrôle du gouvernement. De plus, l’« Espionage Act » ne différencie pas un lanceur d’alerte divulguant des informations d’intérêt général à la presse en vue d’informer le public d’abus gouvernementaux, d’un espion révélant des informations cruciales à un service de renseignements étranger. Cette loi américaine considère donc que tout lanceur d’alerte dévoilant des informations classifiées même si elles sont illégitimes, datées ou connues du public, agit dans la volonté première de nuire aux États-Unis.

POURQUOI DEVRIONS-NOUS ETRE INQUIETS DE LA CONDAMNATION D’ASSANGE ?

Les enjeux sous-jacents à ce procès dépassent largement les frontières américaines. Il s’agit bien de la protection de la liberté de la presse à l’échelle mondiale puisqu’on ne parle pas d’un ressortissant américain mais d’un journaliste australien travaillant et publiant ses recherches hors des États-Unis, poursuivi par les autorités états-uniennes et sur le point de leur être livré par un pays européen. Qu’en est-il de la protection de la liberté d’expression et de la protection du journalisme dans un pays européen démocratique si Assange est extradé vers les États-Unis en vertu des chefs d’accusations douteux en termes de fondement du droit pesant sur lui ? Cette jurisprudence créerait une brèche sans précédent grâce à laquelle n’importe quel pays pourrait choisir de traduire en justice un quelconque journaliste qui révèlerait des crimes contre l’humanité commis par un pays. La situation est donc alarmante pour l’avenir de la liberté de la presse dans le monde et met en exergue la fragilité de nos démocraties occidentales engagées pour des causes telles que les Droits de l’Homme ou la liberté des médias. On peut d’ailleurs anticiper que l’extradition d’Assange poussera d’autres journalistes à l’autocensure de peur des représailles.Au-delà des enjeux de liberté de la presse, la détention même de Julian Assange à Belmarsh soulève des questions démocratiques. Au moment de son arrestation lorsque l’Équateur mit fin à son droit d’asile au sein de son ambassade en avril 2019, le journaliste fut arrêté par la police britannique. La raison invoquée pour son arrestation fut alors qu’il ne s’était pas présenté devant le tribunal suite à la demande d’extradition de la Suède pour des accusations de viol et d’agression sexuelle en 2012. Il devait alors purger une peine de 50 semaines de prison pour s’être réfugié au sein de l’ambassade d’Équateur au lieu de se livrer à la police. M. Assange a cependant purgé cette peine depuis plusieurs années mais continue d’être détenu dans des conditions extrêmes, passant 23 heures par jour dans une cellule d’isolement. Julian Assange n’a commis aucun crime justifiant de telles conditions de détention, son enfermement ne s’explique que par des manipulations politiques en vue de l’extrader vers les États-Unis.

NEGLIGENCES DE LA JUSTICE QUANT A L’ETAT DE SANTE DE JULIAN ASSANGE

La santé physique et mentale de M. Julian Assange se dégrade de jour en jour, en octobre 2021 il fut victime d’un micro-AVC. Ses proches n’ont cessé d’alerter les juges britanniques sur son état de santé altéré et le danger qu’une extradition vers les États-Unis ferait peser sur sa vie sans que cet argument ne soit retenu afin de prévenir cette extradition. Dans un communiqué de presse du 5 janvier 2021, Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, indiquait que suite à une visite à Julian Assange au sein de la prison de Belmarsh, le « Guantanamo Britannique », en 2019, une équipe médicale spécialisée avait conclu que M. Assange montrait les symptômes typiques d’une exposition prolongée à la torture psychologique. Il faut rappeler que Julian Assange est enfermé depuis 2012, entre son refuge dans l’exiguë ambassade équatorienne, puis son emprisonnement à partir de 2019.Les États-Unis affirment qu’en cas d’extradition, Assange ne serait pas incarcéré dans une prison de haute sécurité, qu’il ne serait pas torturé et bénéficierait de soins de santé. Cependant, ils ont également indiqué qu’ils se réservaient le droit de supprimer ces garanties dans le cas où la conduite de Julian Assange les incommoderait ce qui confirme le fait que les assurances données par les autorités états-uniennes ne sont absolument pas fiables. Dans les faits, il risque donc probablement une incarcération dans la prison de haute sécurité ADX au Colorado dans des conditions pires que celles de sa détention actuelle en Grande-Bretagne.Le maintien prolongé d’Assange dans ces conditions de détention renforcées constituerait pour lui une torture mentale qu’il pourrait difficilement endurer et pourrait accroitre le risque qu’il se suicide puisque son état psychologique l’a déjà confronté à de telles pensées. Or, la Cour Européenne des Droits de l’Homme protège tout individu contre l’extradition si cette personne court le risque d’être torturée ce qui est le cas dans la situation présente. Cela sans compter les rapports indiquant que la CIA et son ancien directeur Mike Pompeo auraient envisagé d’assassiner Julian Assange en 2017, ce qui ne laisse aucun doute sur les dangers pesant sur sa vie. Les avocats de M. Assange pourraient se tourner vers la CEDH afin de faire appel si la décision des juges britanniques s’avère non concluante. Cependant, ce recours pourrait être compromis par un projet de loi britannique annoncé en juin dernier pour que les tribunaux du Royaume-Uni n’aient plus à suivre les décisions de la CEDH.

LA PERSECUTION D’ASSANGE : UNE MISE-EN-GARDE ETATS-UNIENNE ENVERS LE JOURNALISME D’INVESTIGATION

Le rapporteur Nils Meltzer, précédemment cité, comparait d’ailleurs la situation de Julian Assange à celle du sanglant dictateur chilien Augusto Pinochet, responsable de la mort et de la disparition de pas moins de 3000 individus, lors de sa détention extraditionnelle en Grande-Bretagne entre 1998 et 2000 dans un article du Monde diplomatique d’août 2022. La comparaison entre les deux détentions est d’autant plus saisissante lorsque M. Melzer met en avant le fait que M. Pinochet a passé sa détention en vue de son extradition dans une luxueuse villa de la banlieue londonienne sans restriction de visite tandis que M. Assange est lui placé en isolement dans une prison à haute sécurité. La différence de traitement ne saurait être justifiée par la gravité des faits si on observe les faits reprochés aux deux hommes. L’un d’entre eux est un dictateur ayant commis et ordonné des crimes. L’offense commise par l’autre? Il a rendu publiques des preuves de crimes de guerre, de torture et autres corruptions. La persécution politique endurée par Assange est donc bien le signe d’une situation kafkaïenne où un dictateur meurtrier jouit d’un traitement de faveur tandis qu’un lanceur d’alerte est traité comme un dangereux criminel.Nils Melzer souligne d’ailleurs d’autres points problématiques quant au procès de Julian Assange. Alors que des rapports médicaux indépendants, de même que les constatations officielles du rapporteur de l’ONU indiquaient que M. Assange n’était pas dans un état de santé apte à permettre son jugement, les tribunaux ont choisi d’écarter ces rapports et de continuer le procès. Pareillement, des manquements à la justice peuvent être observés comme le fait que la procédure d’extradition du journaliste australien fût présidée jusqu’à 2019 par la juge Emma Arbuthnot dont le mari avait été exposé plusieurs fois par Wikileaks. Ce réel conflit d’intérêt ne mena pourtant pas à l’annulation des décisions prises par la juge.La tragédie vécue par Julian Assange s’avère donc être le combat de David contre Goliath. C’est l’histoire d’un journaliste détenu et calomnié par des États qui se prétendent démocratiques. Le prix ? Nos libertés fondamentales. C’est aussi l’histoire d’un lanceur d’alerte délaissé des grands médias alors qu’il défend la liberté d’informer de cette même profession de journaliste. Que cet appel soit lancé par la plus grande association de journalistes d’Europe est un signe fort.Cet appel est donc adressé à tous les citoyens à soutenir Julian Assange au nom de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Afin de traduire cette intention par une action concrète, la Fédération Internationale des Journalistes invite à adresser un courrier type (disponible ici) à l’ambassade américaine de votre pays afin de demander la libération immédiate de Julian Assange. En tant que citoyen européen, vous pouvez également solliciter vos députés et autres élus afin de les alerter sur la situation et ainsi faire pression sur nos gouvernements. Le 8 octobre, une chaîne humaine encerclera le parlement britannique à Londres et simultanément, un ‘Tweetstorm’ sera lancé avec le #FreeAssangeNOW afin d’attirer l’attention sur le sort injuste de Julian Assange, d’éviter son extradition et ordonner sa libération. L’affaire Assange ne se résume pas à la liberté d’un homme, mais à notre liberté à tous !Aubane Decobertcrédit photo : campagne de l’IFJ #freeassangenow

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