Introduction

Le prochain Sommet de l’OTAN aura lieu au mois de juillet 2016. A lire l’importance accordée à l’Alliance dans la Déclaration de politique générale du Gouvernement, il nous apparaît primordial de profiter de ce type d’échéance pour alimenter le débat qui doit s’organiser sur la manière dont l’OTAN évolue depuis la fin de la Guerre froide et comment notre pays organise sa politique extérieure et de sécurité autour d’elle.

Nous nous permettons donc de vous[1] faire parvenir cette analyse qui se propose de revenir sur les résultats du dernier Sommet et des dernières interventions militaires de l’OTAN et de les mettre en relation avec le « plan stratégique pour l’avenir de l’armée belge » et la politique extérieure et de sécurité de la Belgique. Cette analyse se concentre uniquement sur des textes officiels de l’OTAN et des communications du Gouvernement fédéral. Ceux-ci confirmeront la perte (et la recherche) d’identité et de légitimité de l’OTAN et l’alignement de plus en plus mimétique de la politique extérieure, de sécurité et de défense de la Belgique à celle de l’Alliance au détriment de la politique européenne de sécurité et de défense, et des Nations unies.

Nous mettrons ainsi en évidence le fait que les menaces auxquelles l’Alliance entend faire face sont toujours plus éloignées de ce pour quoi l’OTAN a été créée et de sa base légale, l’article 51 de la Charte des Nations unies. En mobilisant une définition extensive de la Défense du territoire et de la « sécurité de la zone euro-atlantique », l’OTAN avance des motifs de plus en plus variés pour justifier, a priori, sa présence militaire mondiale. Nous estimons qu’en agissant de la sorte elle attise la conflictualité et renforce les menaces qu’elle prétend combattre. Nous verrons ensuite que les « menaces » auxquelles la Belgique entend faire face dans son nouveau « plan stratégique », et les moyens d’y répondre, sont exactement les mêmes que ceux présentés dans les textes de l’Alliance atlantique.

Pour la CNAPD, cette recherche continue d’identité et de légitimité souligne une perte de puissance et une faiblesse grandissante de l’Alliance. Celles-ci sont confirmées par les échecs successifs et répétés des dernières interventions militaires qu’elle a menées. Si l’objectif de celles-ci, comme le souligne l’OTAN, est de travailler à la sécurité de la zone euro-atlantique[2], il faut alors assumer le fait que notre sécurité s’est vue amoindrie.

D’autre part, l’OTAN a manifestement des difficultés croissantes à masquer ses dissensions internes. Le consensus a de plus en plus de mal à être dégagé entre les 28 États membres (bientôt 29 avec l’arrivée du Monténégro[3] qui va obtenir son statut de pays invité dès le prochain Sommet)[4]. Le mimétisme dont la Belgique fait preuve, légalement condamnable, est donc aussi stratégiquement questionnable.

Analyse des conclusions du Sommet de Newport 2014 (Pays de Galles) : L’OTAN post-Guerre froide, une alliance militaire en quête d’identité

Les menaces identifiées par l’OTAN :  prétextes pour promouvoir ses propres activités militaires ?

Pour son Sommet de ce mois de juillet, un des objectifs annoncés de l’Alliance militaire – toujours officiellement de défense du territoire de l’Atlantique Nord – est d’étudier les manières de « projeter la stabilité de la zone euro-atlantique dans le grand voisinage de l’OTAN »[5].

Cependant, d’après les résultats du dernier sommet de l’OTAN, la région euro-atlantique serait  la cible de plusieurs menaces. La plus importante d’entre elles serait la Russie. En brandissant la carte de la défense de ses frontières, l’Alliance a instrumentalisé la question ukrainienne pour justifier et promouvoir ses propres activités militaires dans l’Est de l’Europe. En effet, une kyrielle d’entreprises militaires ont été développées par l’OTAN autour de la question russe et qui culminent désormais avec le développement du bouclier anti-missile clairement dirigé contre la Russie et le déploiement permanent de bataillons dans les pays baltes, en Pologne et en Roumanie. La question lancinante reste la suivante : la menace russe ne participe-t-elle pas davantage d’une prophétie auto-réalisatrice ? Depuis la dissolution du Pacte de Varsovie et le démembrement de l’Union soviétique, la raison d’être de l’OTAN, son unique « concept stratégique », a disparu. Et avec elle, sa perte d’identité et de légitimité. Ainsi, le maintien de la Russie comme menace principale à laquelle aurait à faire face l’Alliance atlantique participe davantage d’une nécessité politique que d’une réalité stratégique. Une nécessité politique d’autant moins compréhensible vu l’état de dépendance économique mutuelle dans laquelle se trouvent la Russie et l’Union européenne. Et leur proximité géographique.

D’autre part, les récentes activités de l’OTAN au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont systématiquement été justifiées par l’Alliance comme étant des réponses apportées aux « menaces terroristes transnationales et multidimensionnelles » dirigées à son encontre. On peut penser aux différents partenariats engagés et aux « missions de formation » ou encore aux missions maritimes en Méditerranée, en Mer rouge et dans l’Océan Indien.

Les missions militaires « Resolute support » en Afghanistan (2003-…) et « Unified Protector » en Libye (2011)[6] sont également envisagées par l’Alliance comme une réponse à la menace terroriste – diffuse, éminemment politique et nullement définie par le droit international – et donc dans la logique de défense et de sécurité de la « zone euro-atlantique ». L’OTAN s’octroie ainsi le droit d’intervenir partout et les détournements du droit international pourront toujours trouver une justification. Il suffit en effet de penser au concept de « légitime défense préventive » dont se prévalait George W. Bush pour justifier l’invasion américaine de l’Irak en 2003 ; et à sa désormais proche cousine : la « légitime défense » qu’assurent la France et la Belgique en bombardant la Syrie.

L’OTAN souligne en troisième lieu que la question des approvisionnements énergétiques est d’une importance stratégique pour elle. En effet, d’après la déclaration finale du Sommet , « la stabilité et la fiabilité des approvisionnements énergétiques, la diversification des itinéraires d’acheminement, des fournisseurs et des ressources énergétiques, et l’interconnexion des réseaux énergétiques demeurent d’une importance critique notamment dans le contexte de la crise entre la Russie et l’Ukraine et de l’instabilité croissante au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ». L’OTAN prévoit ainsi de « renforcer ses connaissances quant au développement en matière d’énergie qui ont une incidence sur la sécurité des Alliés et sur celle de l’Alliance, et de continuer de développer l’aptitude de l’OTAN à appuyer la protection des infrastructures énergétiques critiques ».

Le Conseil de l’Atlantique Nord a été chargé d’établir un nouveau rapport d’activités sur le sujet pour le Sommet 2016. Cette « menace » continue donc d’occuper une place centrale dans la tentative de l’OTAN de se construire une nouvelle légitimité et une nouvelle identité perdue à la chute du mur de Berlin. Or, il n’est pas possible d’établir des liens entre la sécurisation de l’approvisionnement énergétique et des voies de communication et la défense du territoire de l’Atlantique Nord, qui constitue la seule légitimité (et légalité) de l’OTAN. En se posant comme bras armé de la « prospérité de la zone euro-atlantique », l’Alliance militaire annonce d’ailleurs qu’elle entend s’inscrire dans la compétitivité grandissante avec les pays émergents (« Dans les années à venir, la dépendance de l’Europe à l’égard du pétrole et du gaz va s’aggraver, et les besoins énergétiques de puissances émergentes, telles que la Chine et l’Inde, ne vont cesser d’augmenter. Certains combustibles fossiles vont devenir de plus en plus difficiles d’accès et aussi plus chers »[7]).

Notons enfin que l’OTAN identifie également, comme menaces, la prolifération des missiles balistiques et la prolifération des armes de destruction massive. Nous ne traiterons pas davantage de celles-ci tant il est encore plus évident ici que les pays membres de l’OTAN identifient des menaces auxquelles ils sont les premiers à participer.

Les stratégies envisagées par l’Alliance pour répondre à ces « menaces » : des forces militaires « adaptées » qui peinent à répondre aux nouveaux enjeux de sécurité

Outre les différentes stratégies de « partenariat » et les multiples missions de formation, deux types de mesures peuvent être distingués :

1/ Les mesures d’assurance. Il s’agit de la présence aérienne, terrestre et maritime continue et une activité militaire significative dans l’est de l’Alliance ainsi qu’en Méditerranée. Elles restent confinées au territoire de l’OTAN mais se développent dans une perspective d’élargissement à l’Est, vers les anciens pays membres du Pacte de Varsovie et de l’Union soviétique alimentant la posture agressive de l’Alliance et l’escalade de l’armement.

Dans ce cadre et depuis le dernier Sommet, l’OTAN a organisé le renforcement de ses forces navales permanentes (SNF). En 2015, six unités d’intégration des forces OTAN (sortes d’États-majors avancés) ont été créées en Mer Baltique et en Mer Noire (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne et Roumanie), constituant ainsi une présence OTAN visible et permanente dans ces pays.

Rappelons également que la « défense » collective de l’OTAN est basée sur une double dissuasion: conventionnelle et nucléaire. Cette dernière étant présentée comme la « garantie suprême » de sécurité. L’OTAN n’a pas abandonné l’éventualité de la « première frappe » nucléaire. Le « No first use » est pourtant une des premières étapes exigées par le Traité de non-prolifération (TNP) comme gage de travail pour la non-prolifération et le désarmement. La Belgique participe directement à cette double dissuasion, en violation flagrante et constante du TNP. Cette politique est la première cause du non-désarmement nucléaire mondial et belge. Aucun signal ne se fait plus entendre de la part de notre gouvernement pour un retrait des armes nucléaires de la base de Kleine Brogel et différents indices indiquent que la préférence du gouvernement et de l’armée belge pour remplacer les F-16 irait au F-35, un de deux seuls modèles qui peut perpétuer la capacité nucléaire de notre force aérienne.

2/ Les mesures d’adaptation. Elles visent à prévoir l’adaptation de la posture militaire stratégique de l’Alliance particulièrement pour viser l’augmentation de sa réactivité. Concrètement, cela se traduit par :

  • le renforcement de la force de réaction de l’OTAN (NRF) :

Les forces de réaction rapide de l’OTAN ont été créées au Sommet de Prague de 2002 et renforcées aux sommets de Chicago de 2012 et de Newport de 2014. Ce dernier prévoit le triplement des effectifs de la NRF, passant de 13 000 à 40 000 soldats. Son délai de mobilisation varie de 5 à 30 jours (avec capacité de se maintenir entre 30 et 60 jours), bien loin évidemment du délai raisonnable pour permettre les débats nationaux sur l’intérêt, la légitimité et la légalité du déploiement d’une telle force.

Le commandement général de la NRF relève du commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR, toujours américain). La décision de déployer la NRF est prise par le Conseil de l’Atlantique Nord[8], au consensus[9], pour remplir des « missions de sécurité collective ou de gestion de crises, sans limitation géographique d’intervention », nous dit l’OTAN. Des mesures ont été prises au Sommet de 2014 pour accélérer le processus de décision politique et militaire : le commandant suprême des forces alliées en Europe a autorité pour préparer les troupes à intervenir dès que la décision politique en a été prise. En outre, un nouvel instrument de planification préétablie se construit basé sur des plans de réponse « graduée ».

Pour l’année 2016, les engagements de la Belgique à la NRF sont :

  • un bataillon d’infanterie légère, articulé autour du 2ème bataillon commando de Flawinne (soit 930 militaires)
  • le bataillon Istar (Intelligence, Surveillance, Target Acquisition and Reconnaissance) de Heverlee (220 militaires)
  • une unité de forces spéciales,
  • six chasseurs-bombardiers F-16 et deux des nouveaux hélicoptères NH90, (200 pers.)
  • un chasseur de mines avec un équipage d’une quarantaine de marins.

On le voit, la Belgique pourrait participer à une mission expéditionnaire décidée par l’OTAN dans un laps de temps qui ne permet aucunement d’en assurer la légitimité démocratique. Dans le contexte d’une alliance qui vise à identifier de multiples manières de justifier des interventions hors zone, nous sommes en droit de nous inquiéter. Notons que, s’il s’agit réellement d’un outil pour contrecarrer l’agressivité russe présentée abondamment par l’OTAN, cet outil de la NRF est stratégiquement dérisoire.

Signalons en outre que la NRF a été déployée à deux reprises depuis sa création, toujours dans le cadre d’une catastrophe naturelle : aux États-Unis (ouragan Katrina) et dans le Cachemire pakistanais lors d’un tremblement de terre. Il n’y a donc jamais eu consensus interne à l’OTAN pour déployer cette force créée il y a 14 ans dans le cadre d’une mission militaire de confrontation. Or l’OTAN prolonge cette politique apparemment inutile en créant une force de réaction très rapide. Ce prolongement souligne le rôle d’abord politique que poursuit cette multiplication de forces.

  • la création de la Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF)au sein de la NRF :

Elle est composée d’éléments aériens, maritimes et d’opérations spéciales. Elle peut se déployer en deux-trois jours et est donc encore plus réactive que la NRF. Elle compte aujourd’hui 20 000 soldats et vient d’être dotée d’un QG permanent en Pologne. Deux autres sont prévus en Hongrie et en Slovaquie.

  • la création d’une force expéditionnaire multinationale interarmées :

Elle s’ajoute au plan d’action réactivité et a été mise sur pied dans le cadre d’une coopération militaire franco-britannique (Accords de Lancaster House, 2010). Suite aux divers exercices qui ont eu lieu ces cinq dernières années, la « Combined Joint Expeditionary Force » (CJEF) est depuis 2016 disponible et prête à intervenir. L’échéance suivante sera la capacité à déployer un groupe aéronaval binational permanent à l’horizon 2020[10].

Ce plan d’action « réactivité » s’inscrit dans un objectif plus large intitulé « les forces de l’OTAN à l’horizon 2020 » (sommet de Chicago 2012). L’OTAN rêve de forces militaires modernes, étroitement interconnectées, qui soient équipées, formées, entraînées et commandées de telle sorte qu’elles soient opérationnelles et réactives. Un objectif en parfaite contradiction avec l’opposition de plus en plus claire d’une majorité de pays membres de ne plus déployer de troupes au sol.

Cette évolution illégale et illégitime de l’OTAN et sa posture toujours plus interventionniste rendent ces « objectifs de mutation » de l’OTAN encore plus inquiétantes. Des objectifs dont toute considération démocratique est absente. Si en effet, le contrôle du pouvoir législatif belge sur l’utilisation des forces armées est constitutionnellement limité, l’usage en restreint encore davantage le champ. Ce contrôle se voit progressivement réduit à néant, particulièrement quand il s’agit de contrôler les actions de la Belgique dans l’OTAN.

Retours sur les dernières interventions militaires de l’OTAN

Depuis 1991, l’OTAN est en quête d’une légitimité que la dissolution du Pacte de Varsovie ne lui procure plus. Les différents concepts stratégiques qui se sont succédés depuis ne font que marquer la distanciation toujours plus poussée de l’alliance par rapport à sa propre base légale (le Traité de Washington et la Charte des Nations unies) et sont autant de marqueurs de sa perte d’identité. Nous le voyons, l’OTAN cherche à maintenir sa domination militaire et celle de ses principaux pays membres. Elle arrive pourtant manifestement de moins en moins à maîtriser les rivalités, les contradictions, voire les antagonismes entre ses membres.

En effet, un constat encourageant pour le mouvement de la paix vient de l’observation que l’OTAN peine de plus en plus à mobiliser l’opinion publique pour appuyer et justifier ses interventions militaires. C’est une des raisons pour lesquelles l’OTAN n’organise plus d’envoi massif de troupes des pays membres dans les régions qu’elle estime dangereuses. Mais cela n’empêche nullement ses multiples interventions et activités militaires de prendre d’autres formes.

Si les interventions militaires aériennes et maritimes de pays membres de l’Alliance se multiplient ces dernières années et ces derniers mois, elles ne se font plus directement sous la bannière OTAN. Celle-ci est soit brandie quelque temps après le début de l’intervention ou n’est pas brandie du tout. Le consensus à l’œuvre dans les prises de décision de l’OTAN a manifestement de plus en plus de difficulté à être dégagé.

Peut-être cette difficulté vient-elle également du fait que depuis l’Afghanistan, toutes les interventions militaires de l’OTAN ont été une succession d’échecs. Aucune de ces missions[11], en effet, n’a rencontré les objectifs assignés. Les attaques à caractère terroriste en Afghanistan ont culminé en 2014 (13 ans après une intervention militaire censée éradiquer le phénomène) alors qu’en Libye, suite à la destruction causée par la guerre de 2011 et des crises qui s’en sont suivies, plusieurs groupes armés et des groupes terroristes contrôlent désormais des parties grandissantes du territoire. Si l’OTAN entend garantir la défense et la sécurité de la « zone euro-atlantique » au travers de ces missions, il faut donc constater que notre sécurité s’est amoindrie.

Ce sont des signes d’un affaiblissement grandissant de l’alliance et pourtant, le Sommet OTAN de 2014 a été le lieu de tous les conciliabules qui ont préparé la « coalition contre le Groupe État Islamique ». 26 pays y ont pris part, en majorité des pays de l’OTAN dont la Belgique. Ensuite, cette coalition a étendu son champ d’intervention de l’Irak à la Syrie et notre gouvernement annonce s’y intégrer à nouveau. D’autre part, la Coalition otanienne qui avait attaqué la Libye en 2011 ne s’est pas disloquée et prend prétexte de l’expansion de Daesh en Libye pour se ranimer. Notre gouvernement n’exclut pas une participation à cette nouvelle expédition « humanitaire ».

Le plan stratégique pour l’avenir de l’armée belge: un plan uniquement atlantiste

Au début de cette législature, les premières coupes budgétaires annoncées par le Gouvernement ont également visé le secteur de la Défense. Lors de la conférence de presse qui présentait la manière dont ces coupes allaient être concrétisées dans le budget de l’armée, deux drapeaux entouraient le Chef d’État major : celui de la Belgique et celui de l’OTAN. Cet élément en apparence anodin pose des questions quant à la dépendance de notre politique étrangère et de défense ainsi que sur la volonté réelle de notre gouvernement de travailler au développement d’une défense européenne pourtant réclamée à l’envi.

Le « plan stratégique pour l’avenir de l’armée belge », succinctement présenté par le Ministre Vandeput en Commission de la Défense le 13 janvier dernier, confirme cette relation de dépendance tant il prolonge le triptyque OTAN/UE/ONU par ordre décroissant d’importance… avec un fossé abyssal entre l’importance portée au premier vis-à-vis des deux autres. Or, les concepts stratégiques de l’OTAN et de l’ONU sont en totale contradiction. Faire le choix du premier revient à nier la pertinence du second[12]. Faire le choix du premier revient également à freiner toute entreprise de construction d’une Europe de la défense. Or, l’accord de gouvernement stipule clairement que : « l’Armée va être un instrument de politique étrangère, voulant renforcer la crédibilité de la Défense au sein de l’OTAN, afin de rester pertinent au niveau international et de rester un employeur attractif ». Plus loin, le gouvernement « plaide pour que l’OTAN continue de relever de nouveaux défis ».

A la lecture de ce plan dit stratégique – qui se résume finalement davantage à une liste de courses qu’à un projet d’évolution de l’armée sur le long terme – la volonté du gouvernement est donc manifestement de prolonger et d’approfondir le statut de « partenaire crédible et solidaire » de l’OTAN tout en garantissant un saupoudrage des autres composantes de l’armée belge moins (ou pas) concernées par l’inscription de la Belgique dans l’alliance atlantique. Pourtant, la volonté d’acheter 34 nouveaux avions de chasse aurait dû commander une révision profonde des autres composantes afin de pouvoir un minimum prétendre à la crédibilité (le seul entretien des 34 avions représente la moitié du budget « investissement » annuel de l’armée).

Les différents investissements envisagés ne vont donc qu’approfondir la dépendance de la Belgique vis-à-vis de la stratégie de « défense » collective de l’OTAN ainsi que sa participation, pendant plusieurs décennies encore, à son entreprise profondément déstabilisatrice. En effet, cette stratégie de défense et de sécurité collective se concrétise en également, et de plus en plus, par la participation de la Belgique à des missions militaires agressives. Rappelons-le encore, ces missions de sécurité collective de l’OTAN sont en contradiction avec la base juridique même de cette institution de défense territoriale (Traité de Washington, 1949), garantie par l’article 51 de la Charte des Nations unies. La Belgique n’est manifestement pas en reste en la faisant sienne de plus en plus explicitement.

La carte ci-dessus est issue de la présentation du Ministre Vandeput en Commission de la Défense nationale le 13 janvier dernier. On le voit, les menaces identifiées et le contour présenté de « l’environnement sécuritaire » est une copie conforme du concept stratégique de l’OTAN, répété lors du dernier sommet de l’Alliance aux Pays de Galles. Le message du Gouvernement qui l’accompagne (l’ « analyse de l’environnement sécuritaire à l’horizon 2030 » approuvé par le Conseil des ministres du 08 mai 2015) participe du discours atlantiste qui vise à dépasser allègrement les missions de défense de territoire allouées à l’armée pour en faire un instrument de politique internationale et de protection des intérêts économiques. Le tout au travers d’un discours civilisationnel portant sur la nécessité de propager les valeurs de notre société.

Morceaux choisis de l’ « analyse de l’environnement sécuritaire belge à l’horizon 2030 » :

  • « l’instrument militaire est nécessaire pour protéger la société et les intérêts belges, ainsi que les valeurs universelles inscrites dans l’ADN européen. Grâce à ces valeurs et à la prospérité économique que connaît l’Europe, le modèle et la société européens restent attrayants pour d’autres pays et leur population. »
  • « En Afrique de l’Ouest, les autorités locales ne disposent pas de moyens et d’une résilience suffisants pour mettre en œuvre les mesures d’adaptation nécessaires pour s’adapter aux changements climatiques. Ceux-ci aggraveront encore les tensions locales liées à une pression accrue sur la sécurité de l’approvisionnement en aliments, en eau et en énergie. Cette réalité renforce la probabilité de futures missions militaires de stabilisation dans cette région. »
  • « la Russie ne se résigne pas (sic) devant l’extension de la sphère d’influence de l’OTAN/UE. Pourtant, cette extension n’est que la réflexion du souhait souverain des anciens pays du pacte de Varsovie de rejoindre l’OTAN et l’UE. Cette situation déterminera pour longtemps la position sécuritaire et militaire de l’Europe vis-à-vis de la Russie.»
  • « La Flow security concerne la protection des ‘flux’ (de marchandises, de matières premières, de personnes, de capitaux, de services et de l’information) qui ne sont plus soumis à une territorialité mais qui restent tout de même liés aux intérêts d’un pays ou d’un groupe de pays ainsi qu’à leur économie et société. […] La protection des lignes d’accès maritimes a donc un lien direct avec la performance des économies belge et européenne. […] Étant donné l’importance économique de cette activité, la Belgique doit contribuer proportionnellement à protéger et assurer de façon globale le flux maritime. »
  • « Autre flux très important est l’approvisionnement en énergie. La sécurité énergétique est une donnée importante car l’énergie peut être exploitée pour exercer une pression sur un pays. La Russie l’a déjà prouvé à plusieurs reprises. De plus, l’Europe dépend très fortement des importations d’énergie, dont une grande partie transite par une périphérie Est et Sud instable. »

On observe donc que le gouvernement précipite l’armée comme instrument de garantie de la « prospérité », comme outil du fonctionnement des échanges commerciaux (en plus dans une époque particulière de crise économique où la concurrence s’intensifie avec les pays émergents. Cette concurrence est également mentionnée telle quelle dans le document): sécurisation du transport maritime particulièrement en énergie et matières premières mais aussi le commerce en général (lutte contre la piraterie). La tension avec la Russie est plusieurs fois mentionnée autour du problème de la dépendance énergétique de l’UE.

Soulignons par ailleurs que, s’agissant du triangle posé sur l’Afrique du Nord et le Sahel dans la carte ci-dessus, toutes les menaces mentionnées demanderaient une réponse policière et non militaire. Cette confusion doit être questionnée tant pour des raisons philosophiques que d’efficacité… puisqu’on s’évertue à avancer des réponses militaires dont on sait qu’elles ne sont pas adaptées aux menaces auxquelles elles sont censées répondre. Cette fuite en avant suggère donc que l’on vise d’autres menaces ou intérêts et, parallèlement, que l’on participe au nouveau paradigme de la conduite de la guerre : le paradigme du « zéro victime » (et donc de la guerre par « proxies »[13]). En effet, les interventions militaires se multiplient mais la distance avec l’ennemi ne fait que s’accroître. On monte toujours plus haut dans les airs et plus loin dans les mers. On ne déploie plus sur le terrain. On arme et on forme des groupes (para-)militaires. De ce fait, on distancie l’analyse citoyenne des actions militaires tant les victimes sont déshumanisées parce qu’uniquement « de l’autre côté ». L’idée n’est plus de faire des prisonniers. On tue et, surtout, on blesse de plus en plus de personnes qui doivent se reconstruire dans des situations conflictuelles ou post-conflictuelles. Une stratégie qui, on l’observe quotidiennement, ne fait qu’alimenter les mouvements migratoires et le terreau de la violence politique et du terrorisme. Une stratégie, en outre, qui ne fonctionne manifestement pas mais que la Belgique entend malgré tout approfondir.

Que voulons-nous ? Nos propositions en vue du Sommet de l’OTAN 2016 à Varsovie

  1. Un meilleur contrôle démocratique en Belgique sur toutes les décisions de l’OTAN et sur la politique de défense de notre gouvernement (notamment via une modification de l’article 167 de la Constitution belge). Cette revendication est d’autant plus urgente que l’OTAN multiplie ses initiatives de création de forces expéditionnaires (très) rapidement mobilisables et que le contrôle démocratique sur l’utilisation des forces armées belges est progressivement réduit à néant ;
  1. L’abandon de l’augmentation annoncée du budget militaire, et la cessation des détournements d’autres budgets vers le militaire (souvent celui de la coopération au développement ou des Affaires étrangères). L’abandon de la volonté d’acheter 34 nouveaux avions chasseurs-bombardiers et l’allocation des 20% du budget « investissement » de la Défense dans des équipements de protection civile ;
  1. L’abandon des missions de l’armée de l’air belge dans la stratégie nucléaire de l’OTAN, le retrait des bombes nucléaires de Kleine Brogel, le désarmement nucléaire total de l’Union européenne ainsi que le refus du bouclier anti-missile ;
  1. L’abandon de la politique de l’escalade politique et militaire avec le voisin direct de l’Union européenne, la Russie. L’engagement volontaire dans une politique de coopération visant à garantir le niveau d’armement le plus bas possible ;
  1. Le cantonnement de l’OTAN à son rôle de défense collective en cas d’attaque sur le territoire d’un des États-membres et le refus systématique de la Belgique de participer aux interventions hors-zone ;
  1. La subordination de l’OTAN à la Charte des Nations unies, et le respect strict par l’OTAN du droit international et des Conventions de Genève et de leurs protocoles additionnels ;
  1. La création d’une commission d’enquête parlementaire sur la participation belge à l’intervention militaire de l’OTAN en Libye en 2011 et le dépassement organisé du cadre onusien dans laquelle elle s’inscrivait ;
  1. L’annulation de la décision qui a rendu possible l’ouverture d’une délégation permanente d’Israël auprès de l’OTAN
  1. L’allocation aux Nations unies des moyens nécessaires à la réalisation de ses objectifs ;
  1. Le lancement d’un débat de fond sur un passage progressif à la neutralité de l’Union européenne à l’intérieur de l’OTAN, dans la perspective d’une dissolution de l’OTAN.

[1] Cette note est destinée aux Députés membre de la Commission de la Défense nationale, au Premier Ministre, aux Ministres des Affaires étrangères et de la Défense aux partis politiques ainsi qu’aux journalistes versés dans ces questions. Elle sera adaptée et mise en page afin d’être proposée à un public plus large.

[2] Remarquons ici qu’il n’est jamais question de la zone « américano-euro-atlantique »

[3] Dont les standards démocratiques laissent clairement à désirer, malgré les balises que se fixe l’OTAN pour organiser son élargissement.

[4] Un consensus qui a par contre permis l’ouverture récente d’une représentation permanente d’Israël auprès de l’OTAN.

[5] Communiqué de l’OTAN : « Les ministres des Affaires étrangères des pays de l’OTAN préparent le sommet de Varsovie. » www.nato.int, 19/05/2016

[6] La mission de l’OTAN en Libye n’a pas directement été légitimée dans le cadre de la guerre contre le terrorisme mais ses implications directes ont toutes ressorties de ce domaine, comme l’intervention au Mali ou l’évolution du conflit en Syrie. C’est également dans ce cadre que l’OTAN envisage une nouvelle intervention dans le pays. Une éventualité qui sera discutée lors du prochain Sommet.

[7] Plaquette promotionnelle « Le rôle de l’OTAN dans le domaine de la sécurité énergétique ». http://www.nato.int/nato_static/assets/pdf/pdf_publications/20111026_Energy_Security_FR.pdf

[8] Le Conseil de l’Atlantique Nord est le principal organe de décision politique à l’OTAN. Il est composé de hauts représentants de chaque pays membre

[9] Plus précisément à l’unanimité sur base du « qui ne dit mot consent ». Chaque pays membre a donc, de manière égale, le droit de ne pas consentir.

[10] http://www.defense.gouv.fr/actualites/operations/rochambeau-2014-vers-une-force-expeditionnaire-interalliee-et-interarmees

[11] Alors que l’OTAN prévoit désormais de nombreuses raisons pour expliquer et légitimer a priori sa présence hors-zone, il faut constater que l’Alliance a cherché à ce que ces interventions militaires s’inscrivent dans le cadre d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Est-ce à dire que l’OTAN ne croit pas elle-même aux raisons qui pourraient expliquer sa présence à l’extérieure de ces frontières ? Notons par contre que toutes ces résolutions ont été dépassées dans les faits et transgressées. Il serait dès lors intéressant de pouvoir mettre sur pied une Commission d’enquête parlementaire afin d’analyser l’instrumentalisation par la Belgique du droit international.

[12] L’identification des « menaces » et de l’ « environnement stratégique » de la Belgique lors de la présentation du 13 janvier en Commission de la Défense nationale est un copié-collé de celle qu’en fait l’OTAN dans son concept stratégique de 2011 et dans la déclaration qui suit le dernier sommet de l’alliance en septembre 2014. Ce concept stratégique s’oppose et s’attaque à celui que l’ONU mobilise pour travailler à la stabilisation et la pacification mondiale (dont l’idée peut se résumer par l’identification des « Objectifs du Millénaire pour le Développement » et leur successeur les « objectifs de développement durable ».

[13] Ou « guerre par procuration ». Une guerre où deux pouvoirs s’affrontent, mais indirectement, en soutenant financièrement ou matériellement d’autres puissances ou groupes militaires qui, eux, sont en conflit direct sur le terrain. Si les superpuissances ont parfois utilisé des gouvernements comme proxies (surtout durant la Guerre froide), les groupes paramilitaires sont le plus souvent employés. Certains utilisent des techniques terroristes.

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