Le 22 février, nous recevions Samir AMIN, professeur d’économie politique, Universités de Dakar, Poitier et Paris, Directeur du Forum du Tiers-monde et président du Forum mondial des alternatives.

Samir AMIN « Les révolutions arabes un an plus tard »

C’est un grand honneur pour la CNAPD qui a accueilli Monsieur Amin lors du dernier Midi thématique de la CNAPD le 22 février dernier pour commenter ensemble les événements importants qui se déroulent dans le monde arabe.

Lire aussi S. AMIN, « Le monde arabe dans la longue durée, le printemps arabe ? », le Temps des Cerises, septembre 2011

DES VICTOIRES ISLAMISTES

Pour Samir Amin, la victoire électorale des Frères Musulmans et des Salafistes en Égypte (janvier 2012) n’est guère surprenante. En effet, ces derniers ont su profiter de la dégradation des conditions de vie de la population, dégradation causée par la mondialisation capitaliste. Grâce aux moyens financiers fabuleux mis à leur disposition par le Golfe, ajoute Samir Amin, ils mettent en place des moyens d’action efficaces (centre de soin etc.) au service de la population. De cette manière, la société leur est redevable car dépendante de leur charité.

Mais ce succès ne pourrait être si les pays du Golf, Washington et Israël n’y trouvaient pas leur compte. Ces trois alliés craignent une Égypte forte qui signifierait la fin du triple hégémonisme du Golfe (soumission au discours de l’islamisation de la société), des États-Unis (une Égypte miséreuse est condamnée à rester dans leur giron) et d’Israël (une Égypte faible ne peut agir en Palestine).

En Tunisie, les mouvements de droite sortis victorieux des élections sont tous favorables à l’économie de marché, c’est-à-dire un système de capitalisme dépendant et subalterne, ce qui plaît aux États-Unis et à la France pour qui c’est la promesse de « tout changer afin que rien ne change ».

Deux conséquences à ces victoires, deux revers de médaille. Point positif : une démocratie politique mais non sociale (démocratie que l’on peut qualifier de « faible intensité » mais démocratie néanmoins). Point négatif : un recul probable du droit des femmes.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, que penseront et feront les classes populaires en Égypte et en Tunisie quand elles verront se poursuivre inexorablement la dégradation de leur conditions sociales, se demande Samir Amin ? Selon lui, il est encore trop tôt pour y répondre mais nul ne doute que pour poursuivre des luttes qui permettront un réel changement, il faudra que se cristallise une gauche radicale qui revendiquera plus que de simples élections correctes. Car il y a une légitimité qui dépasse celle des urnes, c’est la légitimité des luttes.

DES RÉFORMES MAÎTRISÉES DE L’INTÉRIEUR SERONT-ELLES POSSIBLES EN ALGÉRIE ?

L’Algérie se différencie de l’Égypte par la forte aspiration de la société plébéienne à l’égalité (en Égypte, avec Sadate et Moubarak, la classe dominante est devenue une bourgeoise compradore ne nourrissant plus d’aspiration nationale) là où dans l’Égypte moderne se développait une « bourgeoisie aristocratique » (ou une « aristocratie capitaliste »). De cette différence en découle une autre non moins importante : l’avenir de l’Islam politique. Le FIS (Islam politique algérien) a mis à mal l’adhérence totale des Algériens à l’Islam politique (ce qui ne veut pas dire que la question soit totalement dépassée mais la différence avec la situation égyptienne est grande).

De toutes ces différences entre les deux pays, découlent des possibilités différentes de réponses aux défis actuels, conclut Samir Amin.

LE DRAME SYRIEN

Le régime de Bashar el Assad, une dictature policière, légitime la révolte du peuple syrien, commence Samir Amin. Mais le trio USA, Arabie Saoudite et Israël profite de la situation pour travailler à la destruction totale du pays. La vraie solution démocratique passerait par des réformes substantielles au bénéfice des forces populaires et démocratiques qui existent et refuse de se laisser enrôler par les Frères Musulmans.

LA GÉOSTRATÉGIE DE L’IMPÉRIALISME ET LA QUESTION DÉMOCRATIQUE

Dans son ouvrage Le monde arabe dans la longue durée, le printemps arabe ? , Samir Amin a voulu montrer que la dépolitisation avait été décisive dans la montée en scène de l’Islam politique. C’est d’ailleurs la pratique dominante dans toutes les expériences nationales populaires du premier éveil du Sud. Dans le cas des sociétés musulmanes, cette dépolitisation revêt la forme principale du « retour » (apparent) de l’Islam articulé à une économie de marché de bazar.

Qu’imaginer si cet Islam politique accédait au pouvoir en Égypte et ailleurs ?

Des discours rassurants sont massivement assénés à la population par le clergé médiatique et politique. On dit « c’était fatal, nos sociétés sont imprégnées par l’Islam », « On a voulu l’ignorer ; il s’est imposé »… et de penser que de toute façon les Frères Musulmans, élus, sont donc acquis aux principes démocratiques. Non, nous dit Samir Amin, l’exercice du pouvoir par un Islam politique réactionnaire ne fera qu’entraîner les pays qu’il gouverne au bas de l’échelle de la classification mondiale.

La question de la politisation démocratique constitue, dans le monde arabe comme ailleurs, l’axe central du défi. Or nous assistons, ailleurs comme ici, à un recul effrayant dans ce domaine à cause de la centralisation extrême du capital des monopoles généralisés qui exige (et permet) la soumission inconditionnelle et totale du pouvoir politique à ses ordres. À l’individu libre et créateur, le citoyen capable de formuler des projets de société alternatifs, se substitue le consommateur, triste spectateur passif dans une farce démocratique.

Avancer sur les chemins de la démocratisation des sociétés et de la repolitisation des peuples est indissociables. Mais par où commencer ?

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