*Si tu veux la paix


La force du théâtre porte parfois – souvent ? – si bien les messages critiques de la CNAPD. Aristophane, qui écrivait La Paix avec la férocité pacifique et affective de la comédie lorsqu’il avait mal à sa démocratie, connaît là de beaux héritiers contemporains. Deux compagnies ont invité la plateforme à deux belles expériences de partenariat pour penser en chœur l’essentiel politique et l’actu douloureuse. Qui sommes-nous quand nous choisissons la guerre sans la penser ? Qui devenons-nous quand on y court la peur au ventre ?

Un polar noir, sanglant et cathartique.

Là, on n’est pas dans le cliché angéliste bisounours, fleurs dans les cheveux, le bédo éteint qui pend nonchalamment au coin des lèvres. Le Théâtre de l’Ancre de Jean-Michel et le texte de Dominique proposent un suspense haletant. Un face à face scénique de deux personnages, le flic et le gamin radicalisé, un face à face qui est aussi celui de nous public, nous la Cité qui s’observe les yeux dans les yeux. Pas facile l’introspection. La Route du Levant sert un huis clos audacieux qui couche des arguments difficiles que les mots fourretouts de terrorisme, radicalisme ou complotisme enfouissent trop souvent dans la chape du non-débat public. Une aubaine pour la CNAPD qui cherchait un objet artistique qui puisse au contraire déclencher le questionnement critique. Pour déclencher, ça déménage… Pour peut-être guérir. Et les grincements de dents certains soirs sont le signe d’une plaie encore ouverte, que l’on désire cacher au risque de la gangrène. Auto-flagellation ? L’argument missile est célèbre qui cherche à éteindre par le feu toute volonté collective de progrès social. La fiction cathartique flingue ici sur toute dérive totalitaire : nous ne deviendrons pas les monstres qui sont superbement composés par Grégory et Jean-Pierre. Les jeunes, eux, ne s’y trompent pas. Les débats en classe, en Ancre ou en Théâtre National sont riches, passionnants, tournés vers un avenir à construire.

La caricature qui désarme les faux-nez de la guerre.

Yaskondy…et yaskonfè. Cette fois, c’est l’humour qui pique. On a dit beaucoup, on a beaucoup fait ! Qui est « on », au juste ? Cette pièce de théâtre ne dit pas la vérité, elle ment. Elle ment pour interroger les certitudes et les schémas de pensée qui m’habitent et déterminent mes agissements. Marion Netisse n’existe d’ailleurs pas de chair et de sang. Mais son existence de papier et de scène amalgame, cristallise, caricature une série de traits que l’histoire des relations humaines peut documenter depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Elle nous montre que « intervenir » signifie souvent faire la guerre et que les interventions militaires ont considérablement dessiné le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Notre présent n’est pas le produit de la spontanéité mais il est aussi, entre autres déterminants, le fruit des choix collectifs du passé.

Ces choix du « on » ont-ils toujours été portés avec intelligence par le désintéressement et la générosité, ont-ils toujours été soutenus par une éthique de la paix, de la démocratie, de la liberté ? « Laissez-moi rire » semble dire Babou qui appuie en jouant où ça fait mal, sur cette plaie couverte de la normalité et de la modération. Au théâtre, le personnage Marion Netisse utilise avec talent des trucs et ficelles de la rhétorique médiatique pour convaincre et persuader les opinions publiques de la nécessité de poursuivre ses options profitables. Au prix de la guerre.  Au-delà des tergiversations et valses-hésitations, elle doit être efficace et mettre l’éthique de côté pour obtenir des résultats.

Mais on devient ce qu’on mange… Parfois la réalité se moque de la vraisemblance et rattrape la fiction, selon Mark Twain. La propagande, fréquemment analysée dans ses versions autoritaires ou militantes de tout poil, repose sur des techniques de manipulation de la langue. Et en démocratie aussi, le débat dans la Cité et la Chose publique nécessite d’influencer les décideurs comme les opinions. Bref, les discours nous façonnent et nous disent quoi penser si nous n’y prenons pas garde. L’esprit est critique quand il décèle l’intention derrière la communication : le recours à la guerre et à la violence est-il à ce point une évidence naturelle ?

Sous ses dehors de légèreté, la pièce interpelle, remue et dérange. Chouette ! Mais pour dépasser l’ambiguïté ou le malaise, le jeune spectateur peut éprouver le besoin de comprendre, de se confronter à des documents, des interprétations, des faits. La CNAPD propose alors d’ouvrir l’enquête au travers de séquences de cours utiles en classe et hors de classe aussi. Elle peut à l’occasion intervenir dans les débats que Babou veut organiser après chaque représentation. Pour porter le débat partout où elle porte le théâtre et la vie, en salle ou en rue. Tiens au fait, les deux compagnies s’invitent chez vous. Une version emportable pour faire bouger votre salon ou le réfectoire de votre bahut.

  • La Route du Levant, texte de Dominique Ziegler, mis en scène par Jean-Michel Van den Eeyden et son équipe, joué par Jean-Pierre Baudson et Grégory Carnoli. Prochaines dates et infos ?
  • Yaskondy Yaskonfé, Compagnie J’ai mon Toi qui perce, imaginé, écrit et joué par Babou Sanchez. Prochaines dates et infos ?
  • Dossier pédagogique en voie d’achèvement ICI !
Thibault ZALESKISource image

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