IMAGINER EN HIVER !« L’habitude. Il n’y a pas de bonne habitude. L’habitude, c’est une façon de mourir sur place. » (Un singe en hiver[1]).Alors bien sûr, l’état d’urgence serait exceptionnel. Les raisons sanitaires l’exigent. Comme les attentats l’auraient exigé. Il ne deviendra donc pas une habitude.Mais l’habitude que nous prenons à vivre tous les jours dans l’exception, c’est celle de vivre dans une société de contrôle, de la suspicion, de la froide distance. Une société qui devient effectivement virtuelle et qui assèche le lien social, éloigne très loin de ce qui est commun. On devient ce qu’on mange. Des singes en hiver ?Tel le tyran Mithridate qui s’imprégnait tous les jours de quantité infime de poison afin de s’immuniser de la dose qui tentera de le tuer. Le pharmakon délétère qui serait distillé à tous.tes dans des dosages progressifs. Ces bonnes habitudes nous prépareraient-elles au fascisme ? Ou plutôt, nous habitueraient-elles aux conditions formelles qu’un moment fasciste – en costard cravate peut-être ? – ne manquerait pas de reprendre à son compte le jour venu, levé lentement, sans douleur ?Ce qui fait mal, c’est que les arguments de la démocratie sont serinés pour soutenir cette résignation à rester dans les clous. Face à la peur de la maladie et de la mort, il est évident et beau – au sens où cela peut correspondre à nos valeurs de solidarité, de fraternité ! – que contraindre un temps une partie de nos libertés individuelles dans l’intérêt général de protéger et préserver nos systèmes de santé relève bien de la noblesse démocratique, de la liberté collective à se penser et se construire.Ce qui est plutôt questionné ici, c’est la sincérité de la démarche quand elle est imposée par de bien peu profondes intentions démocratiques. De nombreuses personnes élues aux différents leviers de pouvoir se vautraient depuis des années dans l’évidence d’autres vérités[2]. Il y a peu, beaucoup ne disaient-elles pas qu’il n’y a pas d’alternative ? Et la coercition répressive pouvait à l’occasion venir corriger les insuffisances de la « pédagogie » ou des apparences.Amnésie, amnistie ? Non ! Nous l’avons retrouvé, c’est le grand « retour du cœur » ! Cette formule sacrée qui claironne l’accord de gouvernement ne dit pas depuis quand le cœur avait disparu des affaires publiques. Ni vers quels humains il était et sera employé. Beaucoup se sont rappelé la puissance de la volition démocratique lorsqu’ils se sont rappelé leur propre vulnérabilité. La plus commune des caractéristiques humaines. Mais dont il est opportun de se départir quand elle devient encombrante, dès lors que les affaires reprennent…Sans aucun doute ! Nous répondront sans doute certains. Sans doute. Là, où il n’y a pas de doute, il y a – et c’est une certitude ! – bien peu de vérité. Des éléments de langage nous traversent, nous traumatisent et puis normalisent ce que notre pensée libre condamnerait à coup sûr. La réflexion mécanique automatique n’est plus pensée. C’est la pente glissante vers la possibilité du fascisme. Et, oui, ça penche fortement sous l’effet de l’urgence faite habitude.Bref. Ne nous vautrons pas dans les habitudes de l’exception et de l’urgence. Ne consentons pas à une quelconque légitimation de la réduction des droits personnels et collectifs en-dehors d’une véritable situation d’urgence[3]. Promettons-nous d’activer radicalement tous les leviers de débat. Créons les échanges et les liens qui font qu’ensemble, il sera possible de continuer à construire des communautés politiques ouvertes, inclusives, reliées entre elles[4]. Résistons et créons le partage d’une destinée (en partie) commune. Travaillons aux enjeux communs– on vous épargne un catalogue – et imaginons avec science des possibles et des pistes de progrès commun. Hors des sentiers battus par les bottes. Hors des éprouvettes du meilleur des mondes.Thibault ZALESKI
[1] Albert Quentin, campé par Jean Gabin dans le fil de Henri Verneuil de 1962.[2] Catalogue des « Il faut » : réduire la fonction publique et ses services au commun, dégraisser les entreprises publiques, ouvrir toujours plus grand les tuyaux mondiaux des flux de capitaux, brader le droit du travail, sauver la sécu, la santé et la recherche en lui administrant des cures d’austérité, mettre sous la pression de l’employabilité, assécher la culture subventionnée, consommer pas cher, etc. Ah, oui, tout de même, on a aussi un petit problème environnemental, non ?[3] À définir et délimiter plus précisément par les textes légaux ![4] Idées de lectures ? Les interviews récentes de Barbara Stiegler, Dorian Astor ou Eric Sadin.

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