Conférence : le terrorisme et ses mots retranscription par Renaud Maes

La radicalisation, un outil utile au contrôle de l’ordre social ? La radicalisation est-elle une notion instrumentalisée afin de s’éviter une analyse critique de l’ordre social et de la violence nécessaire à sa reproduction ?Renaud Maes, Docteur en Sciences sociales et politiques, Professeur invité à l’Université Saint-Louis, enseignant-chercheur à l’ULB et Rédacteur en chef de La Revue nouvelle

[NDLR : le conférencier utilise l’ironie et le second degré pour une compréhension active axée sur la démonstration par l’absurde]


Il y a une chose que j’aime bien faire, c’est de rassembler mes étudiants quand je prépare un exposé. J’ai des étudiants en communication et psycho ce qui me donne parfois des auditoires un peu amusants. Et je leur ai posé la question s’ils savaient en gros c’est quoi la radicalisation ? Et en particulier si c’était une notion claire ? A l’unanimité ils m’ont dit que « Oui, c’est très clair, c’est évident. On sait ce que c’est » et ensuite j’ai posé des questions plus précises. Par exemple : selon vous est-ce qu’un leader syndical comme Marc Goblet est radicalisé ? Les réponses étaient plus ambiguës, les trois quarts des psychos disaient que oui, la moitié des communications disaient que non. Et puis je leur ai posé la question des résistants pendant la guerre. Est-ce qu’ils s’étaient radicalisés ? Alors là à l’unanimité tout le monde me dit « Non mais de quoi vous parlez ?» et alors je leur demandais sur quels critères ils se basaient pour dire que Marc Goblet était plus radicalisé que les résistants qui faisaient dérailler un train. Et puis ils me regardaient avec des grands yeux et là je me dis que je n’ai pas perdu mon temps.

C’est le problème de cette notion de radicalisation. Je me suis intéressé à cette notion suite à une sortie de Paul Magnette qui au lendemain des attaques contre Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher à Paris a fait un « Tweet » : « ces barbares radicalisés ne gagneront pas ». Je me suis dit qu’il y avait quelque chose de bizarre dans ce « Tweet » parce que d’un côté on associe une notion qui est« barbare » et de l’autre côté une notion qui est « radicaliser ». Ces deux notions sont difficilement conciliables. Les barbares sont des gens extérieurs. Le terme « barbare » depuis la Haute Antiquité, est utilisé pour désigner tout ce qui est étranger à la société. Le terme barbare vient de « barbaros » c’est du grec qui est la transformation d’une onomatopée. C’était le bruit « Brrr-brrr » qu’émettaient les gens qui n’avaient pas le droit de vote. Pour les anciens, les barbares sont des gens complètement incultes qu’on arrive pas à comprendre, et qui sont d’une angoisse profonde pour la société grecque, c’est la menace permanente. La société grecque se structurant dans une logique de « il faut repousser les ennemis le plus loin possible ». Et ces barbares n’ont pas d’acquis, il n’y a pas de processus. Ils sont barbares et sont définis par ça. De l’autre côté, l’idée de radicalisé sous-entend qu’il y a eu une évolution, quelque chose qui a changé à un moment. C’est quelque chose qui a changé, qui est passé d’un état normal à un état radicalisé. Et dire que les barbares sont radicalisés, dire ceux qui sont barbares ou ceux qui sont radicalisés est problématique. Pour moi c’est un exemple de « doublethinking » qu’Orwell décrit assez bien 1984, ça consiste à associer un concept et son contraire en un seul slogan et qui finalement empêche de penser la réalité. Il y a trois slogans connus : La liberté c’est l’esclavage, la guerre c’est la paix et l’ignorance c’est la force. On est dans le même type de contexte quand associe ces deux notions. Cette notion de radicalisation ou de radicalisé elle se prête bien à cette association parce que justement elle est complètement floue.

Alors on peut trouver son origine, le début de cette diffusion remonte aux années 2000, à partir du 11 septembre 2001 ou toute une série de lobbies ont publiés des rapports visant à guider les autorités américaines dans la réponse adéquate apportée à la suite des attentats. La plupart de ces publications s’appuient sur un constat : dans nos sociétés nous avons des terroristes qui ont grandi parmi nous et il y a un besoin d’aller les chercher. Tous ces lobbys vont avoir une littérature qui ne sera pas du tout prise en compte en Europe, à priori. En 2005 ça change, il y a les attentats de Madrid, les attentats de Londres, un assassinat à Amsterdam et dans la suite, la Commission européenne commandite toute une série d’étude visant à commencer une stratégie intégrée de lutte contre la radicalisation.

C’est la Commission européenne qui, la première, va introduire l’idée de radicalisation comme un problème. Une chose sur laquelle travailler. Elle commandite cinq institutions différentes, dont une qui est composée de professeurs d’universités très importants, tous extrêmement diplômés et tous extrêmement érudits. Ce groupe d’experts va plancher pendant un an et demi sur la notion de la radicalisation et va fournir un rapport qui est absolument tordant à lire. Si vous arrivez à le trouver, ça vaut vraiment la peine parce qu’évidemment il n’a pas été publié.

Pourquoi, parce ce rapport dit :
  •  « …la notion de radicalisation elle sous-entends que si vous souscrivez à une théologie à un moment, potentiellement vous pouvez passer à l’acte… ». Sauf qu’il a été démontré que c’était complètement faux. Il n’y a pas de corrélation claire qu’on peut établir entre un passage à l’acte de se faire exploser quelque part et le fait de souscrire à une idéologie.
  • La deuxième chose c’est qu’il faut considérer que tout ce qui touche à la radicalisation ou au terrorisme, c’est ensemble de jeux sur les mots mais aussi un ensemble de jeux sur les chiffres. Sur les départs en Syrie en particulier, la plupart des études qui sont citées ont été produites par un même institut ISCR (qui a produit le rapport que je vous ai cité tout à l’heure) qui a alimenté la Commission Européenne qui a tout intérêt à continuer de montrer que les chiffres sont très importants. En particulier, il y à une série de rapports de l’ICSR qui reprennent des chiffres qui sont dit officiels des départs en Syrie qui enfaite sont des chiffres qui ont été repris d’une intervention d’un député populiste d’extrême droite qui lors d’une conférence à Mons évoquait l’existence de 652 départs. Et si on commence à donner fois à des chiffres qui proviennent d’un personnage pareil, on comprend pourquoi on vote des mesures pareilles. Par ailleurs, j’ai aussi fait une enquête auprès des gens qui sont chargés de manière assez officielle à Anvers de compter les départs en Syrie, je me suis rendu-compte qu’un des moyens qu’ils utilisent est une reconnaissance des profils Facebook basée sur des éléments distinctifs de l’image. Je vais vous donner ceci en scoop parce je vais bientôt faire une publication là-dessus. J’ai trouvé un challenge qui a été réalisé dans deux écoles qui était de poser en tenue de « Djihadiste » devant des décors faux. Ce n’est pas très intelligent, certes mais ça ne fait pas dire qu’il y a des radicalisés qui sont partis faire la guerre en Syrie. Evidemment ils ont été compté par mes collègues anversois qui m’ont confirmé qu’ils avaient repris leur compte dans les chiffres. Il faut aussi vraiment analyser les chiffres, parce que là on parle d’une école entière. On parle d’une centaine de personnes qui vont être regroupé à l’intérieur de ces chiffres. Alors très concrètement où en est ton avec la notion de radicalisation aujourd’hui ? Elle aboutit dans son usage à renforcer deux hypothèses.

La première c’est que la folie et le basculement dans la violence, bref tout ce qu’on n’arrive pas à comprendre c’est complètement exogène à la structure sociale. On va dire d’ailleurs qu’on ne peut pas excuser les terroristes. Et donc, on ne peut pas chercher à les comprendre. Vous savez Manuel Valls à critiquer très fortement les sociologues qui cherchent des excuses et Charles Michel l’a récemment dit en Belgique aussi, on ne peut pas essayer de les comprendre. Evidemment comme on ne peut pas chercher à les excuser, comme ces gens sont des barbares, sont absurdes, n’ont pas un comportement cohérent, On a un soucis. On peut difficilement contrôler et assurer la sécurité. Donc c’est très problématique pour les pouvoirs publics, comment prendre des mesures efficaces. Et donc on va quand même partir d’un principe qu’il y a des comportements humains qui sont prévisibles et donc on peut prendre des mesures de sécurité.

Alors comment, en posant un modèle de contrôle de type épidémiologique. C’est-à-dire que des individus sont disposés dans la société et à un moment ils peuvent contracter le virus de la radicalisation par le jeu d’une série d’influence que serait les fameux heurts que sont les mosquées. Si vous avez eu l’occasion de lire madame Torrekens (NDLR : directrice de DiverCity, un groupe de conseil en sciences sociales et politiques lié à l’Université libre de Bruxelles) il n’y pas de recrutement au travers des mosquées. Au contraire ça se passe en dehors de la mosquée. Ce qui super intéressant aussi c’est qui dit protocole épidémiologique dit chercher des facteurs de prédisposition. Et là on va commencer par cibler des individus qui a priori peut les aider à contracter le virus et donc va en particulier suspecter tous les enfants immigrés et tous les gens venus de l’extérieur qui sont susceptibles d’être tentés par des idées barbares/ hors de notre civilisation. Et on va aussi travailler sur les signes avant-coureurs. Et c’est la qu’on voit sortir plein d’études sur le diagnostic comme par exemple celle proposée par le gouvernement français et qui est repris dans les outils de prévention en Belgique qui listent une série de facteurs en disant :  le fait que votre fille arrête de vouloir faire la gym avec les garçons est un signe avant-coureur de radicalisation. Elle chamboule ses habitudes alimentaires, c’est un signe potentiel de radicalisation, elle change ses habitudes en terme d’écoute de musique, c’est aussi un signe potentiel de radicalisation et si elle change ses habitudes vestimentaires c’est vraiment un très très mauvais signe. Et s’il y a les cinq, vous devez vraiment vous inquiéter.Alors ils ont créé des petites échelles qui nous disent le niveau de radicalité. Bref si votre fille passe par la crise d’adolescence, faîtes gaffe ils est inévitable qu’elle prenne les armes en Syrie. Par rapport à l’absurde de ces outils, il y a quand même quelque chose qui est surprenant : c’est le silence absolu des chercheurs. Et qui revient à une question qui est super essentielle : « Qu’est ce qui peut expliquer à un moment que quelqu’un qui est passé par un système d’enseignement belge – qui socialise pas mal les individus – qu’est ce qui explique que ces personnes rejettent de manière violente tout ce que le système de l’enseignement est censé lui inculquer ? Comme on ne peut pas comprendre puisqu’on ne peut pas l’excuser, la réponse qu’on nous donne c’est qu’il y a un effet magique. Les jeunes vont sur YouTube, ils regardent quelques vidéos et soudain (paf) ils vont prendre les armes. Si on se refuse à considérer que les médias ont un effet magique – ce qui me semble sans doute être la position la plus rationnelle, alors il faut se poser la question de savoir si finalement la radicalisation qui eu lieu c’est peut-être moins un effet d’un aimant contaminant ou d’un élément externe d’un processus lié aussi à l’expérience de ces institutions. Bref a la place de parler de radicalisation à l’école où on a entendu énormément dans les formes de prévention. Il faudrait se poser la question s’il n’y a pas un processus de radicalisation PAR l’école.Est-ce que nos institutions à l’heure actuelle ne produisent pas par la manière dont elles fonctionnent toute une série de décrochage et de désaffiliation par rapport à la société et qui sont d’autant plus logique que ces mêmes institutions en réalité envoient des messages qui sont contradictoires. Juste par l’exemple de l’école et je vais terminé par la conclusion. Dans le cas de l’école, c’est qu’il y a quelque chose de tout à fait hallucinant. C’est qu’on explique aux gens que globalement il faut qu’ils travaillent bien pour y arriver, qu’ils soient le plus possible assidus à suivre les cours, et en même temps on voit que même en suivant les cours, ses moyens d’obtenir une chance de promotion sociale. C’est absolument improbable.En Belgique actuellement la probabilité d’ascension sociale sur une génération est quasi-nulle. Bref les gens restent dans leur milieu social. Il y a toute une série d’études qui montrent qu’on a plus de mobilité sociale ascendante et l’école qui se fondent sur la promesse d’une mobilité sociale, en réalité elle s’avère inefficace, voire pire, sans engagement. Et a coté de l’école on arrête pas de montrer toute une série de modèle de gens qui s’autoorganisent en marge et qui ont rompu par rapport à l’institution. Même à l’intérieur de l’institution on il y a une tendance à rompre avec l’institution. Alors pourquoi j’en viens avec ça, parce que je fais des interviews sur le terrain maintenant, j’ai une série de jeunes qui sont partis et qui ont expliqué en gros qu’ils étaient des bons comptables. Mais impossible pour eux de trouver quoi que ce soit en termes de chance de formation à cause des difficultés d’admission où même en terme de job ici à Bruxelles et particulièrement autour de la zone du canal. Et quand ils ont été contactés par l’organisation mafieuse : Daech. On leur a promis un revenu important et donc ils sont partis. Là-bas ils se sont rendus compte de la réalité et ils sont revenus. Voila. Et par rapport à ça, on peut se demander si ces jeunes qui adopté cette stratégie ou le fait qu’il n’y ait pas d’opportunité du tout de placer leurs compétences ici à Bruxelles. Tout ça pour vous dire que grâce à cette idée de radicalisation, on ne se posera jamais la question puisqu’ils sont radicalisés, on les a mis en prison pour toute une série d’entre eux. Ils en sortiront sûrement de manière plus radicalisée parce que personne n’aura pris la peine de les écouter.

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