Ma fille a demandé pour assister aux commémorations de l’Armistice ce dernier 11 novembre. Curieuse, elle a vu les drapeaux et les autorités enrubannées, elle a écouté Ferrat chanter Nuit et brouillard et les cuivres sonner les hymnes et les hommages. Sa mémoire et sa pensée se sont imprégnées des mots et des images. De l’émotion mémorielle. Et c’est sans doute bien. Mais ce fut très incomplet.

« Héros et Patrie », et c’est tout ?

Je souhaiterais pour l’année prochaine que la commémoration aille au-delà, reflète davantage d’intelligence de l’histoire et de la nature collective des hommes. La discipline historique a étayé que « les combattants de la liberté et les martyrs », souvent morts dans l’illusion sincère de servir la cause juste, ont davantage été les victimes et les instruments d’un logiciel compétitiste, militariste et patriotiste (superlatifs soupesés !). Les morts au combat sont en fait les victimes les plus visibles de mouvements de l’histoire que, le nez dans la mouise de la guerre totale, ils n’ont pu comprendre.

Il est important pour ma fille et les nombreux enfants présents ce jour-là de s’imprégner de l’idée que la guerre est la faillite de l’intelligence, la conséquence de la compétition effrénée pour les ressources, le mode définitif de résolution de la course aux armements, l’inéluctable issue de la fabrication de la haine par l’exacerbation des identités exclusives. La réponse violente et simpliste à la complexité incomprise du monde.

« Plus jamais quoi ? »

Sous le tapis de la gloriole, on trouve la diversité de l’histoire des hommes. Les soldats célébrés sur nos monuments étaient surtout, des fils, des frères, des maris, des pères. Où sont les mutilés, les gueules cassées ? Où sont ceux qui refusaient la logique de la guerre ? Où sont les mutins, les résistants critiques aujourd’hui souvent réhabilités ? Où sont les femmes et les enfants qui bossaient à l’usine pour construire la munition qui tuerait leur parent en uniforme ? Où sont les démobilisés qui ont souffert de n’avoir pas été tués, eux les non-héros vivants et condamnés à errer dans une société qui les évitait parce qu’il fallait oublier la Der des Der ?

Oserais-je poursuivre ?… Où sont les victimes allemandes, autrichiennes ou turques ? Où sont les victimes russes ? Les soldats des colonies et leurs familles ? Les réfugiés et déplacés ? Un paquet d’ingrédients indispensables au nécessaire travail critique de mémoire. Je souhaiterais les sentir présents, gravés dans la pierre de notre mémoire collective. Je souhaiterais que ma fille ait accès à une vue plus large, plus généreuse. Je suis convaincu que c’est le souhait de tout le monde, alors, il s’agit de faire autrement que comme « on a toujours fait ».

Rendre justice au travers de la mémoire doit être ambitieux. Célébrer la Paix, c’est mettre en lumière les sombres causes de la guerre et interroger la responsabilité de chacun dans le travail et la construction de la paix. De telle sorte que personne ne se réjouisse de voir des enfants porter des habits militaires et marcher au pas le jour de la fête de la Paix. De telle sorte que davantage de concitoyens ne voient pas ce jour férié comme du folklore. De telle sorte que les enfants puissent questionner les schémas de pensée qui font de la violence une évidence. Et réfléchir à construire des logiques de paix véritable.

Nul homme sensé ne peut préférer la guerre à la paix puisque, à la guerre, ce sont les pères qui enterrent leurs fils alors que, en temps de paix, ce sont les fils qui enterrent leurs pères. Hérodote

Des pistes pour 2016-2018 ?

Il y a 100 ans, l’absurdité ontologique de la guerre s’enlisait à Verdun. Nous avons encore deux ans pour épouser le rythme mémoriel et préparer l’évaluation centenaire du Traité de guerre de Versailles.

  • Visiter l’Historial, lire Alice Ferney (Dans la guerre), Laurent Gaudé (Cri) ou Pierre Lemaître (Au revoir là-haut)
  • Suivre certaines associations de vétérans de la guerre qui contribuent à des expositions qui démontent l’idée de la guerre juste et mettent en évidence le jeu de la propagande qui conduit les populations à adhérer au logiciel de la violence (Institut des vétérans).
  • Lors d’une expo, se prendre un tableau expressionniste de Otto Dix en pleine poire de certitude établie.
  • Aller dans les classes et parler.
 

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