Le miroir de l’eau renvoie trop fréquemment au pacifiste le reflet simpliste d’une naïveté tranquille et narcissique. Eternellement battue en brèche par les bottes et les pantoufles, cette attitude digne face au monde se trouve fréquemment décrédibilisée. Un argument rabâché pour l’envoyer promener à l’Ouest ? Le manque d’analyse rigoureuse que la chemise à fleurs doit caricaturer. Fi ! Le pacifiste ne fuit pas les conflits. Il les questionne, les agite et fait bouillonner les idées critiques. Autour de la formation CAP EAU, les certitudes établies se prennent une nouvelle fois une sacrée savonnée…

Le pacifiste et l’eau qui bout. Ou le remous des surfaces trop calmes.

Les représentations ont la vie dure. Longtemps, on l’a cru infini, renouvelable et éternel. Mais les pressions de plus en plus nombreuses dégradent le cycle de l’eau et révèlent sa fragilité. Très largement au-delà de la fermeture du robinet lorsqu’on se lave les dents, il faut évaluer les quantités disponibles à l’aune des schémas productivistes qui caractérisent si bien l’identité de la mondialisation qui galope. Parce que oui, entre la croyance bien ancrée de l’infinie satisfaction des infinis besoins grands consommateurs d’eau d’une part et, de l’autre, la réalité embuée de la rareté de cet ingrédient essentiel, il y a un océan d’eau salée, de profit et d’incompréhension. Or l’eau, c’est l’ingrédient de tous les ingrédients et l’élément de toutes les interdépendances.

L’eau de là est ici.

Une idée reçue à questionner ? « La Belgique ne souffre d’aucun problème d’eau ». Pourtant, et malgré les bruines éternelles et les draches nationales, elle consomme bien davantage d’eau que ce que lui offre son généreux territoire. L’eau qui apparaît virtuellement ici dans la composition de mon jeans ou de mon épi de maïs a bien été ponctionnée quelque part. Souvent ailleurs. Oui, il existe un marché de l’eau qui nous connecte avec les zones de production. Celles-là éprouvent parfois aujourd’hui ce stress hydrique voire cette pénurie conflictuelle. Les conséquences néfastes de mes achats sont externalisées et d’autres êtres humains en subissent les conséquences. Loin d’ici. Voilés dans des brouillards de certitudes confortables. Mais le lien existe. Il suppose bien une hiérarchie des hommes peu compatible avec un idéal de paix.

Une autre idée reçue : « Il y a bien des spécialistes et des institutions compétentes qui gèrent tout cela ! ». Les textes publiés par plusieurs institutions internationales sont parfois ambivalents. Ils documentent et dévoilent d’un côté les risques réels qui existent à poursuivre les politiques actuelles de l’eau. Ils pointent notamment la nécessité d’une plus grande coopération entre les Etats. Mais d’un autre côté, ils se font fréquemment les chantres ambigus d’un approfondissement de la privatisation et de la technologisation du secteur. Dont on sait que les intérêts sont incompatibles avec la participation démocratique et décentralisée de la gestion de l’eau. Ces textes reflètent finalement souvent une certaine colonialité du savoir et du pouvoir. Hors jeu le citoyen ! Questionner notre relation à l’eau, c’est donc aussi questionner nos projets de société.

Un exemple ? Les accords de libre échange comme le TTIP. Alors, on a lu les lénifiantes assurances de Madame Malmström, la Commissaire de l’Union européenne au Commerce, qui assure que l’eau sera préservée de l’interdiction des barrières non-tarifaires. Mais encore une fois, la lame de fond du « tout au marché parfait ! » s’imposerait dans la législation communautaire et l’étape serait décisive. On ne peut se contenter des quelques garanties trop bien communiquées tandis que la râpe des traités atteindrait la croûte de l’initiative collective. Visons plus haut pour encadrer les pratiques. D’abord, au minimum, ratifier les conventions supranationales de l’ONU et, surtout, y rendre légal le Contrat mondial pour l’eau. On voit trop bien la façon dont l’absence de règles collectives conduit à la ruine des intérêts communs et des droits à la vie. Pensons notamment à l’alimentation : l’agriculture boit 70% de l’eau consommée dans le monde. Défendre les droits à l’eau et à l’alimentation passe par l’affirmation de la participation démocratique.

L’eau, un bien commun pour coopérer.

L’eau ignore les frontières artificielles qui séparent et divisent les buveurs. Les Etats ou les propriétés privées ne peuvent canaliser l’eau qui s’écoule.  Le droit à l’eau est avant tout une affaire de démocratie à tous les niveaux. On suit durant les ateliers CAP EAU les expériences des Etats Généraux de l’eau de Bruxelles : reconnecter les habitants des bassins versants avec la réalité concrète et politique de l’eau. Au-delà du constat, l’approche est une piste d’action citoyenne qui demande résolution et travail. Ici et maintenant. L’eau est un formidable catalyseur pour vitaliser la participation de tous les acteurs concernés et redonner ses lettres de noblesse au terme « politique » : créer du lien social, de la décision collective et faire de l’eau un bien commun public.

À la CNAPD, on ne conçoit donc pas la paix comme le simple silence des armes. On ne s’explique pas et on refuse l’adhésion massive des opinions à la logique de guerre et de domination. La violence structurelle et systémique est génératrice de nouvelles violences qui, à leur tour, alimentent le cercle vicieux de leurs conséquences délétères. Le 20ième siècle a façonné un monde d’une violence inouïe. Ne déplaise à ceux qui se satisfont de la démocratie sélective et de la paix armée. Aussi, si l’on désire agir sur ces fatals engrenages, est-il nécessaire d’interroger les causes fondamentales et d’anticiper. Lors du cycle précédent des ateliers CAP, il était aisé pour l’historien de fournir des documents qui étayent abondamment la politique réaliste, coloniale,  belliqueuse des Etats dans leur course aux énergies. Bien plus subtil est le positionnement concurrentiel pour cette ressource révélée il y a peu stratégique qu’est l’eau. L’information demeure complexe, les enjeux nous projettent vers un avenir proche. Tout est à choisir et à créer.

L’eau, c’est la vie. On sait. L’eau, ça peut être la paix. Il y faut la volonté, un politique claire, rigoureuse, courageuse. Y travailler dans un esprit de coopération ouvert, critique, constructif et sincère est une tâche indispensable pour construire un 21ième siècle moins violent. Les participants à la réflexion collective de la CNAPD ne correspondaient pas au cliché disqualifiant du pacifiste béat et doux rêveur que manipulent tant les prédateurs, leurs cyniques apôtres ou les indifférents.

Lien vers les formations CAP.

Thibault Zaleski

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