Entre état d’urgence et répression de militants écologistes, le climat à Paris lors de la COP21 est monté de bien plus de 2 degrés. Les interdictions de manifester et les assignations à résidence se sont abattues en nombre sur la société civile mobilisée et la menace terroriste a bien souvent servi de prétexte pour faire taire les voix dissidentes. Pourtant, au cœur de cet état d’urgence climatique, une question est restée fort absente : celle des conséquences environnementales des activités militaires. Cette question est absente des négociations pour la COP21 mais également peu, voire pas, présente dans les revendications de la société civile.

Elle n’a cependant pas été oubliée par tout le monde… Une série d’organisations pacifistes, ont profité de l’occasion de la COP21 pour remettre la question de l’impact environnemental des activités militaires au goût du jour. Une série de conférences a été organisée à l’initiative de l’Assemblée européenne des citoyens et du Transnational Institute et soutenu par une quinzaine d’organisations, des rencontres qui s’inscrivaient également dans le cadre du Forum Climat de Montreuil. Celles-ci on été l’occasion de questionner le rapport entre guerres, armées et climat et d’envisager des pistes d’action.

Un exemple flagrant de cette grande absence se trouve dans le calcul de l’empreinte carbone des États. Les activités militaires, qu’elles aient lieu en temps de paix ou en temps de guerre n’y sont pas prises en compte. Les essais nucléaires (ou les essais militaires en général), le fonctionnement quotidien des bases militaires ainsi que les désastres environnementaux liés aux guerres sont tout autant des dégradations de l’environnement que le bilan carbone des États ne mentionne pourtant pas.

Ce refus de prendre en compte les activités militaires est non seulement inouï vu l’importance des dégradations provoquées par ce type de technologies, mais nous empêche également d’augmenter la pression sur les Etats mauvais élèves et va-t-en-guerre. En regardant de plus près l’empreinte carbone et les dépenses militaires des États, on constate qu’une corrélation existe entre les deux : les plus gros pollueurs étant souvent les plus gros dépensiers au niveau militaire. Selon le principe du pollueur-payeur, les États qui investissent le plus dans les dépenses militaires seraient donc ceux qui devraient contribuer le plus fortement à la lutte contre le changement climatique et l’on pourrait envisager une contribution plus importante de ces États au Fonds vert pour le climat[1]. Après tout, les 100 milliards de dollars USD à atteindre ne sont qu’une bagatelle face aux 1 776 milliards de dollars USD de dépenses militaires mondiales en 2014 (moins de 6%).

Une autre piste serait d’actionner l’arme du droit. Même s’il faut bien reconnaître que le droit international n’est pas très développé de ce point de vue, deux instruments méritent d’être mentionnés.

Pour commencer, il s’agit de la convention ENMOD ou Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles. Entrée en vigueur en 1978, cette convention est depuis tombée dans les méandres de l’oubli international. Selon l’article 1er, chaque État partie s’engage à « ne pas utiliser à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles des techniques de modification de l’environnement ayant des effets étendus, durables ou graves, en tant que moyens de causer des destructions, des dommages ou des préjudices à tout autre État partie ». Les États s’engagent également à « n’aider, encourager ou inciter aucun État, groupe d’États ou organisation internationale à mener des activités contraires » à ces dispositions.

Cette Convention présente de nombreuses imperfections. Au rang de celles-ci : le fait qu’elle ne s’applique qu’entre les États parties et pas aux relations que ceux-ci entretiennent avec des États tiers ; et le fait qu’elle reste vague sur la définition à donner aux techniques et à leurs effets. Mais elle représente également une avancée importante. Applicable en temps de guerre tout comme en temps de paix, la Convention ENMOD dispose d’un champ d’application relativement large. Elle est également ratifiée par la toutes les grandes puissances militaires (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, Chine), la presque totalité des États européens (dont la Belgique) et presque toutes les puissances nucléaires (à l’exception d’Israël, de la Corée du Nord et de la France).

Deuxièmement, le droit international humanitaire comporte aussi des dispositions destinées à protéger l’environnement dans le cadre des conflits armés. Le premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949 (1977) stipule, article 55, que « la guerre sera conduite en veillant à protéger l’environnement naturel contre des dommages étendus, durables et graves. Cette protection inclut l’interdiction d’utiliser des méthodes ou moyens de guerre conçus pour causer ou dont on peut attendre qu’ils causent de tels dommages à l’environnement naturel, compromettant, de ce fait, la santé ou la survie de la population ». Les attaques contre l’environnement naturel à titre de représailles sont également interdites.

D’autres articles de ce protocole pourraient également être utilisés à des fins de protection de l’environnement. L’article 54 prévoit, par exemple, la protection des biens indispensables à la survie de la population civile et interdit, moyennant certaines exceptions, l’attaque de zones agricoles.

Cet instrument, à la différence de la convention ENMOD, se limite au cadre des conflits armés. Il présente cependant l’avantage d’être ratifié par 174 États et permet d’interdire non seulement les techniques militaires menant à de tels résultats mais également les moyens utilisés. De plus, le fait de provoquer de façon non intentionnelle de tels dégâts peut également être interdit.

On voit donc bien ici que lutte contre le changement climatique et combat pour la paix font corps et ne peuvent s’appréhender uniquement séparément. Une convergence de ces luttes est donc primordiale, au risque de perdre sur les deux fronts.


[1] Prévu lors des négociations environnementales de Copenhague en 2009, ce Fonds a pour ambition d’aider les pays les plus pauvres à lutter contre le changement climatique.

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