Échanger avec les jeunes qui vivent un temps en IPPJ est un privilège professionnel qu’il est bon de cueillir et partager. Rarement ailleurs les discussions résonnent-elles si fort, si vrai. Il faut dire que les gros mots qu’on y déconstruit ensemble sont souvent des armes lourdes qui les pointent voire des obus qu’ils traînent : extrémisme, violence, terrorisme ? Leur expertise propre est convoquée, celle de leur intériorité et de leurs vécus, la matière brute d’une réflexion collective qui cherche un sens. Qui s’affine avec le témoignage, en une combinaison subtile d’intelligence et d’émotion. Là, il nous semble que la rencontre éphémère crée du lien, de ceux qui tissent une société qui ne renonce pas à construire un avenir.

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Évidemment, quand on leur annonce que l’on vient parler avec eux de violence ou d’extrémisme, les jeunes flairent le piège. Ça se lit sur le visage avec limpidité. Ça se sent comme s’entendent les portes lourdes, qu’on penserait blindées, les loquets qui clinquent lorsqu’ils les enferment avec vacarme dans une chambre qui est cellule. Les sections fermées, c’est pas folichon comme décor… Les sens rappellent avec efficacité les motifs d’un enfermement. Il y a peut-être plus d’air dans les sections ouvertes.

On peut n’être pas d’accord. C’est normal d’ailleurs. La seule règle qui se glisse n’en est pas une. Invoquer le respect suffit à ce que chacun comprenne et accepte « parce que bien sûr, dit un jour Souleymane, le respect c’est dans tous les sens ! ». La discussion s’installe, ça prend. Souleymane n’est pas réellement Souleymane. Les dossiers des jeunes ne nous concernent pas. Ils doivent être protégés et préserver leurs chances de reconstruire un parcours dehors. Quand on convoque à l’écran le récit de vie de Mansour, les jeunes perçoivent très vite que le pseudonyme est une garantie essentielle. Notre société n’est pas toujours tendre avec ceux qui trimballent une grosse étiquette sur le front. Du genre « Terroriste ». Ah oui, tout de même…

Parler avec le diable ?

Sauf que, s’il empruntait alors des chemins qui auraient pu faire de lui un cadavre ou un assassin, Mansour est aujourd’hui un être épanoui. Il est là, aujourd’hui, sorti de l’écran, présent et vif pour témoigner. Son histoire est celle qui rappelle que la vie est tortueuse, qu’elle offre des possibles à saisir, que nous sommes devenir bien plus que nature figée. Là où l’étiquette essentialise, catégorise, clôt la vie – Mansour a voulu rejoindre Daesh, modèle abouti de créature collective violente et extrémiste ! – sa vie à lui a été rebond et foisonnement, revitalisée par des possibles qui adviennent grâce à des propositions, des échanges fermes, de l’étude, grâce à des choix pluriels. « Tu as été mon plus gros dossier, tu es donc aussi mon plus beau succès ! », aurait dit sa juge de la jeunesse, comme il aime à la qualifier. Elle a osé à l’époque dépasser les représentations dominées par la peur qui crispe et la rumeur qui fausse, elle a pu déceler l’être humain masqué des traits caricaturaux du monstre, elle a choisi d’investir du temps et de l’argent public dans un travail juste de restauration.

D’autres fois, d’autres témoignages. Saliha, Sarah, Matthieu, Sabri, Aziz, Kenza racontent autre chose. Des histoires qui terminent mal. On sent beaucoup d’amour. Il irradie plus fort encore quand il se fraye un trait de lumière à travers l’horreur. Nos jeunes d’IPPJ savent aussi cueillir ce qui est beau dans le trou. Ils nous le disent. Ils le partagent. Ils touchent comme les mots et les idées. On ne sépare pas le cœur de la tête. On ne saurait par artifice rétablir la douce naïveté de l’enfance quand l’expérience a fracassé trop tôt les bulles de bienveillante préservation. Alors, on essaie de parler vrai dans cet asile qui peut être de paix momentanée, une section d’IPPJ. On se dit qu’ici, c’est toute une société qui peut – qui doit ! – semer les ferments d’un monde qui cherche sa propre résilience. Ici, le vœu n’est pas pieux – il faut lui affermir le bras et y investir ! – ici, on sent qu’on peut réparer.

Le même et le différent. La plasticité créative de nos identités.

Réparer ? En 2025, Mansour visite régulièrement l’IPPJ où il a râlé et pesté comme il a sans doute pleuré. Où il a pu aussi fonder son nouvel itinéraire. Il rend régulièrement un rapport indicatif sur le respect des Droits des enfants au Kinderrechtencommissaris, le Commissaire aux Droits des enfants. Et c’est maintenant avec joie qu’il salue la directrice et les éducs qui l’y ont accueilli. Au départ de son humanité radicale et pieuse, Mansour a trouvé dans sa disposition curieuse au monde la force d’un engagement ferme à soigner, accompagner, chercher à aider des enfants qui, eux aussi, ne peuvent se résoudre qu’il n’existerait qu’une façon de vivre et de se relier au monde des autres. Son témoignage n’est pas simple espoir. Il est sans doute espérance qui fait sentir à chacun, au-delà de l’indicible et de l’irreprésentable, qu’il est quelque chose de bon qui peut venir.

Le verre d’eau offert est ici cadeau, il goûte la générosité. Puis, quand on sort, on voit les potagers qui sont sourires, les arbres qui sont des poignées de main fermes et franches. La joie des cris sur les terrains de sport, partagée avec des éducs qui prennent part aux vannes avec souplesse. Il a fait souvent beau cette année, on le voyait au travers des clôtures grillagées. Comment vous dire l’émotion – êtes-vous disposé à la ressentir ? – qui traverse si souvent ces groupes de parole ? On se dit donc ici à la CNAPD que c’est une vraie chance de travailler cette complexité de la vie avec authenticité. Nous nous cultivons ensemble. Merci à tous ces jeunes qui, là où ils sont, partagent des bouts d’eux en parlant des autres. La sincérité des mots échangés, les failles qu’on explore ensemble sont des révélations précieuses de nos fragilités. Celles qui constituent une commune humanité au cœur des palettes miroitantes de nos belles singularités. Celles qui élaborent lentement la confiance. Si nécessaire.

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Un cercle vertueux de coopération.

Depuis 2017, une soixantaine de rencontres-débats ont eu lieu dans les différentes sections des 6 IPPJ de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce travail avec la CNAPD, comme organisation de jeunesse, est possible grâce au travail d’Isabelle Seret, S.a.v.e Belgium, de Cimédé (Fédération Wallonie-Bruxelles), du groupe Retissons du lien et de l’appui de l’administration et des personnels en charge des IPPJ. La confiance construite entre ces différents acteurices est ferment de paix et d’éthique démocratique. Merci à chacun.e qui prend part de près ou de loin à cette belle dynamique !

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