/ Édito /

De la Palestine à l’Ukraine ou du Congo au Yémen, les plaies de la guerre sont béantes et saignent toujours plus. Le cercle vicieux de la violence apparaît sans fin et son parrainage international ne permet d’entrevoir autre chose que son accélération. Au Yémen, point d’efforts de paix mais une nouvelle intervention militaire hors-territoire de la Belgique pour « sécuriser les voies commerciales navigables ». Au Congo, pas de stigmatisation de la responsabilité rwandaise dans la perpétuation des violences mais bien un accord commercial qui normaliserait les relations juteuses entre ce pays et l’Union européenne. À Gaza, une population massée dans le Sud qui craint les bombardements annoncés et des armes qui continuent à affluer vers Israël. En Ukraine, une guerre qui dure, qui se fige et qui continue à détruire sans l’ombre d’une perspective d’autre chose. 

Aujourd’hui, le monde sent plus que jamais le soufre et la poudre. « Il faut se préparer à la guerre », entend-on de plus en plus fréquemment dans le discours politique et médiatique européen. En Belgique, la Ministre de la Défense Dedonder appelait chacune et chacun, au mois de janvier, à devenir réserviste à l’armée. La guerre redevient petit à petit palpable, elle réintègre progressivement nos réalités vécues. Le Président Macron l’a rappelé cette semaine : dans la confrontation avec la Russie, « rien ne doit être exclu ». Réalisme ou prophétie autoréalisatrice ?

Le déclenchement de la guerre en Ukraine a suscité, chez nous, le sentiment d’être extrêmement démunis face à ce qui a largement été présenté et vécu comme un « retour du spectre de la guerre », dans nos États européens qui « vivent en paix depuis 75 ans » (alors qu’ils font la guerre, presque sans discontinuer depuis lors, aux quatre coins de la planète). Cependant, les réactions véhémentes et largement partagées dans nos pays dans le cadre de l’invasion de l’Ukraine par la Russie montrent avec quelle vitesse et quelle efficacité les affects et les réflexes issus d’une longue histoire européenne de la guerre peuvent être réactivés1. Il suffit de voir la rapidité saisissante avec laquelle cette guerre a déclenché les appels politiques et médiatiques pour enfin (sic) refinancer l’armée. Un engouement qui s’est traduit par la relance massive des budgets alloués aux armées dans tous les pays européens, y compris en Belgique où pourtant, années après années, la classe politique nous rappelle le manque de moyens dans tous les postes essentiels aux populations et à la planète.

Dans ce contexte particulier, la prise de recul, la perspective par l’Histoire, peut être salutaire. La mémoire dit tellement de ce que nous sommes et de ce que nous voulons être. Pour le coup, la CNAPD vous invite à entrer en résonance avec ceux qui ont été fusillés parce qu’ils refusaient la boucherie et l’absurdité de la Première guerre mondiale. Pour l’exemple, pour l’ordre, contre les bottes têtues, l’armée exécutait au nom de la Belgique des consciences qui ont agi justement. Voilà un souvenir qu’il serait opportun de faire vivre aujourd’hui dans les esprits et la pierre monumentale : celui de ceux qui ont payé leur refus de la guerre du prix de leur vie.


« Dans « L’oiseau qui souille son propre nid », une conférence donnée à la Sorbonne le 9 décembre 1927, {Karl} Kraus protestait avec indignation contre l’argument utilisé de tout temps par les imbéciles de tous les pays contre celui qui a le courage de dire la vérité à ses compatriotes. « J’affirme, explique-t-il, que pendant la guerre, tout intellectuel s’est rendu coupable de trahison envers l’humanité s’il ne s’est pas révolté contre sa patrie quand celle-ci était en guerre — en se servant de tous les moyens dont dispose un intellectuel. J’affirme que le spectacle qu’offrent les chantres de la guerre et les lèche-bottes de mon propre pays belligérant en venant, une fois celle-ci terminée, en pays ennemi pour tendre aux populations une main salie par les contributions qu’apportèrent leurs écrits à l’effusion de sang — j’affirme que le revirement qui les entraîne à fraterniser avec les peuples est bien plus ignominieux que leur activité pendant la guerre, qu’ils aimeraient bien désavouer.2 » 

  1. Voir à ce sujet l’excellente analyse de Déborah Brosteaux, « Les pentes glissantes de la guerre », in Agir par la culture, février 2023, https://www.agirparlaculture.be/les-pentes-glissantes-de-la-guerre/ 
  2.  Karl Kraus, « L’oiseau qui souille son propre nid », reproduit en avant-propos de la « version scénique » des Derniers Jours de l’humanité, Agone, 2003. Citation tirée de  14-18, le carnaval tragique », par Jacques Bouveresse (accès libre, novembre 2014) // https://www.monde-diplomatique.fr/50933 .

    @Noisette, Shot at Dawn Memorial, National Memorial Arboretum near Alrewas, Staffordshire (7 May 2008), en Noir & Blanc


 

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