Ce n’est jamais qu’un drapeau. Il flotte sur les hampes des maisons officielles de ma commune. Ce symbole futile sera-t-il rapidement remisé au placard ? Roulé comme une fronde de fougère qui attendrait indéfiniment le terreau idéal pour éclore à nouveau. Plus tard. Là, maintenant tout de même, il flotte et questionne. Au-delà de tout angélisme dans un contexte sec et dur. Bien au-delà même pour celui, critique, qui cherche à comprendre un certain état du monde et ne désespère pas de cultiver la paix lorsqu’on commémore la guerre.Il y a 100 ans et quelques miettes déjà, le travail et l’espoir même de la paix avaient été condamnés, accusés de trahison, embastillés par les lettres de cachet du pouvoir va-t-en-guerre. Ne fallait-il pas éliminer le Boche, l’Autre, le Non-humain ? Bandé fièrement comme le symbole de la patrie, le drapeau national devait galvaniser les troupes et les trouffions auxquels il fallait transmettre le goût du feu et du sang. Vaine illusion qui préparait la seconde guerre et un plus grand désastre encore. Nous nous apprêtons donc à fêter le centenaire du plus grand cimetière que la terre eût alors jamais à creuser.Pourtant, au 19ième et au début du 20ième siècles, le choix et l’intelligence du concept de paix étaient portés par de nombreuses voix qui le cultivaient. En réaction, les institutions officielles corsetées par des personnes bien établies, parfois sincèrement acquises aux schémas de pensée traditionnels, parfois très au fait de leurs intérêts, ont développé la propagande de la seule pensée qui convînt : cultiver la guerre, glorifier la violence comme soi-même, réduire le monde à deux camps, dont « le nôtre » serait l’unique sanctuaire du Bien.Ces voix-là, contraires, résistantes et pacifistes, fortes et claires, ont été contraintes par la loi, délégitimées, exilées, emprisonnées, assassinées parfois. Motif ? Elles brisaient l’union sacrée, elles gâchaient la célébration de la violence, elles entravaient l’idéologisation de la nation réduite à son muscle productif et à sa masse à canonner. Elles appelaient les communautés politiques de toutes les nations à partager leurs souffrances et leurs espoirs. Pour donner corps sens et vie à la solidarité et au progrès humains. Parce qu’elles comprenaient, ces voix, que nous faisons partie d’un même écosystème.En 2018, fêter la paix, c’est faire droit à l’historiographie qui a formidablement bousculé les idées de guerre joyeuse et des héros fleur-au-fusil. La guerre industrielle a labouré l’humanité selon les principes de l’autoritarisme, du productivisme, du nationalisme, du dogmatisme, du militarisme, du racisme, de la compétition coloniale, de la domination de la nature, des femmes et des hommes. Là, en 2018, il faut creuser les sillons de la culture, de l’éducation, de l’intelligence critique, de la politique au sens le plus noble, c’-est-à-dire faire du lien pour construire constamment un avenir bénéfique commun. La culture est un art qui demande du soin et de la patience. La récolte est incertaine. Mais planter du plomb revient à accepter de mourir.Bref, ce drapeau de la paix n’a pas pour seule vertu que sa charge émotive de l’incantation utopique. Contre la tentation du nihilisme qui mène au suicide, il symbolise l’envie de vivre, de travailler un écosystème qui développe la vie contre toutes les logiques de domination, de violence et de mort. Mais au fond, n’est-ce pas là la plus ancienne et la plus spécifique tâche de l’être humain ?À l’occasion de la commémoration de l’armistice de la guerre mondiale, nous demandons à toutes les personnes en charge de mandats politiques de cultiver la paix et la non-violence, selon d’ailleurs les termes très sérieux de l’Unesco que vient de quitter en fanfare le tribun surarmé de la Maison blanche. (https://fr.unesco.org/themes/cr%C3%A9er-programmes-paix ).Les âmes sacrifiées des nations chantent peut-être quelque part de voir un drapeau de la paix qui pavoise quelques jours sur les façades du pouvoir. Vaccinées, leur chant ne saurait être martial. Et s’il est beau, pourquoi ne pas laisser ces couleurs flotter le 11 novembre contre, tout contre, les autres étoffes célébrées ?Thibault Zaleski

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