Merci à toutes et tous ! 
 
Mercredi 15 octobre, nous avons célébré les 55 ans de la CNAPD lors d’une journée portes ouvertes riche en échanges, en découvertes et en émotions.
Un immense merci à tous.tes celles et ceux qui ont participé, de près ou de loin : bénévoles, partenaires, intervenant·es, ancien·nes et nouveaux membres — votre présence et votre énergie ont rendu cet anniversaire inoubliable.
Retrouvez ci-dessous :
  • Une retrospective des ancien.ne.s président.e.s de la CNAPD, qui reviennent sur leur passage à la tête de l’association. Dans ces interviews, iels partagent les enjeux de l’époque, leurs plus grands souvenirs et leur vision de l’engagement citoyen.
  • Une retranscription du Discours de Pierre Galand, co-fondateur de la CNAPD, tenu lors de la soirée du 15 octobre.

Rétrospective des président.e.s de la CNAPD

Giulia Contes

2024 – …

Grégory Mauzé

2023 – …

Martin Maréchal

2022 – 2024

Mathilde Guillaume

2020 – 2022

Carmelo Sutera

2018 – 2019

Naïma Regueiras

2016 – 2018

Guillaume Defossé

2014 – 2015

Carlos Crespo

2012 – 2013

Brian Booth

2008 – 2009

Yonnec Polet

2003 – 2008

Veronique Oruba

2000 – 2003

Vincent Lurquin

1996 – 2000

Denis Lambert

1987 – 1992

Pierre Galand

1970 – 1985

Discours de Pierre Galand, co-fondateur de la CNAPD

(le texte du discours a été ajusté pour une meilleure fluidité à l’écrit)

Mes chèr.e.s ami.e.s, 

Ecoutez, je vais commencer par être honnête et vous dire que, c’est vrai que j’ai été le premier Président. Mais nous étions des co-fondateurs. Et les co-fondateurs de l’époque, c’étaient les organisations de jeunesse : c’était le mouvement étudiant, c’était le mouvement syndical. […] Et évidemment, pour qu’ils puissent [se faire] entendre, il fallait qu’ils trouvent quelqu’un qui se trouvait un peu partout, ou pas du tout partout. Et donc c’était en tant que Secrétaire général d’Oxfam qu’ils m’ont demandé d’être Président. Parce qu’Oxfam représentait […] à la fois le développement, à la fois le désarmement. On avait un principe chez Oxfam, c’était de dire : « pour avancer, il faut deux jambes : une pour le désarmement, une pour le développement ». 

Pourquoi ce thème-là ? Tout simplement parce que c’était le thème récurrent des Nations Unies de l’époque. Il faut savoir que les Nations Unies ont été créées sur ces deux piliers : la paix et le développement. Et pourquoi en 1970 ? Tout simplement parce qu’on est après 1968. Et parce qu’après 1968, il y avait dans nos milieux de jeunes une révolte sur des objectifs clairs : […] l’achat des AMX-15 (qui étaient les chars nouveaux de l’époque), […] l’achat des C-130 (qui étaient les gros porteurs des avions), […] la FN et la production des fusils qui partaient partout dans le monde et qu’on dénonçait. 

On essayait de démontrer, d’ailleurs, qu’il y avait une technique pour ne pas avoir de problèmes : ils faisaient des doubles caisses. On est donc parvenus avec des syndicalistes à démontrer qu’il y avait des doubles caisses qui partaient avec une adresse officielle et [que], quand elles arrivaient dans ce pays-là, on enlevait la caisse et en-dessous était la caisse de la vraie destination. […] Un jour, Monsieur Harmel, ministre des Affaires étrangères, était en train de jurer la main sur le cœur qu’il n’y avait pas d’armes dans l’avion qui partait pour le Biafra, que c’était pour l’humanitaire. Voilà que l’avion se fracasse et […] [qu’]il était plein d’armes. Et donc ça, c’est la Belgique. C’est une hypocrisie permanente, où on n’a jamais eu le courage d’essayer de dire où on en est. […] 

C’est la fin de la guerre du Vietnam, on en approche en 1970 […]. Et […] à l’époque, le Vietnam était la Palestine d’aujourd’hui. Le Vietnam, dans le monde entier, mobilisait. 

[…] Une anecdote, c’est que […] des gens comme Jean Van Lierde partaient en Allemagne, avec l’un d’entre eux déguisé en soutane. Et qu’est-ce qu’ils faisaient ? Ils allaient acheter les armes qui allaient servir pour le FLN, en Algérie. Lui qui était un pacifiste, qui était allé en prison et qui avait la mine pour refuser son service militaire. Mais en même temps il était capable de comprendre que […] les mouvements de libération, pour leur émancipation, […] choisissaient les moyens, et s’ils avaient besoin d’armes, on pouvait leur apporter des armes. 

Ce qu’Oxfam n’a jamais fait, […] nous avons choisi une autre voie. Nous avons dit, ce que nous devons faire c’est apporter notre soutien à tous ces mouvements de libération pour montrer qu’ils sont capables de gérer l’Etat. Et donc, ce qu’on apportait, c’étaient les sacs à dos de santé, les sacs à dos d’éducation, tout ce matériel, les vélos pour transporter les vivres, […]. Donc on envoyait des vélos partout : au Mozambique, en Angola, et cetera. On était devenus des spécialistes du vélo, d’ailleurs. 

Et c’était une façon de réagir que nous avions, […] je vais vous dire pourquoi je vous le raconte. [….] Vous allez chercher un soldat américain dans les bistrots à Francfort parce qu’il est en train de se souler la gueule parce qu’il part au Vietnam, que vous êtes parvenu en peu de temps à le persuader qu’il y a une filière pour s’exfiltrer et de ne pas aller au Vietnam, […] que vous le ramener en Belgique et que vous l’amener chez un gars qui s’appelle Antoine Allard, qui a une propriété à Knokke-le-Zoute, où il va passer la nuit pour monter en Hollande, en Suède et passer au Canada, où avec Oxfam on […] a payé une radio, et que cette radio a servi à mobiliser les femmes, […] les mères des soldats américains […]. Et c’est ça notre pain quotidien à l’époque. 

Quand, à l’époque, […] on est alertés par un charbonnier qui se trouve à Etterbeek […], [qui] nous dit : « ils ont pris deux Marocains […] et ils les ont mis dans l’avion, ils sont repartis au Maroc ». On se mobilise et […] on envoie un baron allemand qui travaille à la Commission européenne, qui était un anar complet […]. On est allés les chercher, on les a ramenés, on a fait une conférence de presse et on a dit au ministre Francken de l’époque : « voilà, ils sont de retour, ce n’est pas pour les renvoyer, vous faites une mauvaise politique ». On a fait un gros tabac là-dessus et on est […] parvenus à obtenir à ce moment-là une régulation pour les sans-papiers et les migrants sans-papiers. Et surtout, on a mis en place toute une filière sur la régularisation des étudiants qui venaient chez nous et qui n’avaient pas de bourse d’étude. […] On a trouvé un système qui a permis de régulariser des milliers et des milliers d’étudiants. On a régularisé après ça les sans-papiers, plusieurs en fois en Belgique. 

Aujourd’hui, la différence c’est que vous êtes devant un mur quand vous […] appelez pour avoir la régularisation de cent vingt mille personnes qui sont dans nos entreprises, qui sont dans nos rues, qui sont sans-papiers. 

Et donc, c’est […] le chemin qui a été parcouru pendant un temps […] dans les années 1970 […]. La première action que le CNAPD a mené à l’époque c’était de faire fermer la Jung Welfare : […] au centre-ville, près de la Gare du Nord, une immense foire pour les jeunes. Et on est parvenus à se mobiliser avec toutes les organisations de jeunesse pour faire fermer la foire la veille de l’ouverture. Elle a été fermée, et c’étaient des choses qu’on gagnait. On avait l’impression, vraiment, on avait des gains. 

Et je dois dire, ça a amené le CNAPD à être […] assez structuré, assez fort, […] au bon moment, c’est-à-dire le moment où on a décidé de nous battre contre l’implantation des fameux missiles Pershing et Cruise, qui ont amené les toutes grandes manifestations [de la] fin des années 1970, début des années 1980. Et, c’est vrai que, quand vous faites ça, vous avez l’impression d’être du bon côté du manche, que vous être en train de secouer le cocotier et que ça marche. Que ça marche, qu’on vous écoute. 

[…] A l’époque aussi, je vais vous le dire pour ne rien vous cacher, […] avec le CNAPD, on est rentrés en plein Conseil des ministres, rue de la Loi […]. On est allés leur faire une leçon sur ce qui se passait au Brésil en disant : « vous avez accueilli Brésil Expo ici en Belgique, ce sont des saligos. Là-bas ce sont des militaires, ce sont des crapules et vous êtes en train de soutenir ces crapules ». Et la meilleure, c’est qu’on est parvenu à se faire entendre. Ils n’ont pas fermé la foire, mais on a foutu la merde, ça je peux vous le dire. […] Avec un curé de Louvain, un Brésilien, on a fait des chaussures dont […] les talons s’ouvraient. Et dans les talons et les chaussures, on avait mis des boules puantes. Et le jour de l’inauguration, une heure avant on est tous rentrés avec nos chaussures, on a fait bouger les talons, ça puait la merde ! Aujourd’hui, la police de Bruxelles serait là pour vous matraquer, vous foutre en taule. 

[…] Je vous raconte ça, je pourrais vous [en] raconter des coups pareils […]. Ca nous donnait une ambiance et les organisations de jeunesse avaient du corps. C’est-à-dire que, quand vous parliez aux jeunes communistes, quand vous parliez aux jeunes socialistes, quand vous parliez à la JOC, quand vous parliez à la JEC, quand vous parliez avec les gens du MIR, […] avec les gandhiens, et cetera, ça faisait du débat. En plus, il y avait des grandes gueules dans ce truc-là, il n’y avait pas que moi. Il y avait [des types] comme Jean Du Bosch, par exemple pour ceux qui s’en souviennent, […] et Jean Van Lierde. Quand vous mettez ces deux-là en face autour de la table, vous étiez sûr qu’il y avait une bagarre. Tout ça parce que l’un voulait aller provoquer l’autre. […] Jean Van Lierde était quand même un peu anti-communiste et Jean Du Bosch […] était plutôt euro-communiste mais […] avait un parti derrière lui et […] [disait] quand on avait fini de travailler sur une déclaration […] : « vous direz que je n’étais pas d’accord mais je signe quand même ». Donc on s’entendait toujours. Et finalement […] ça se terminait toujours autour d’un verre de bière. On a perdu cette habitude aujourd’hui, il faudrait peut-être se rattraper. Moi, en tout cas, je ne manque pas le coup. 

[…] C’est un peu pour vous dire, c’était le CNAPD et ce CNAPD était dans l’air du temps. Parce que, aussi, les forces politiques parvenaient à faire des rassemblements progressistes. Il y avait des fronts. Il y avait des fronts et derrière les fronts […] – ou devant le front – il y avait des syndicats. Et […] par exemple lorsque vous faisiez une manifestation […] [vous pouviez] compter sur le service d’ordre du syndicat. Et le service d’ordre du syndicat, c’étaient des Grecs, des Portugais… tous des types antifascistes qui avaient mené la lutte chez eux, qui étaient ici réfugiés, et il ne fallait pas leur en dire deux fois, ils savaient comment il fallait faire. 

[…] Il y avait tout ça qui s’articulait. Et […] petit à petit, je vais vous dire, on a pu avancer. On a avancé jusque… début des années 1990. Et à partir de là, on a vu une société qui a commencé à se déliter et ça s’est délité au point, pour moi en tout cas qui suis aussi dans le Tiers Monde, […] qu’on a accepté un génocide en 1994 au Rwanda. Et ça c’était la déconstruction complète de tout ce qu’on disait par rapport à la coopération, par rapport à la paix. On a été vraiment crapuleux […] – et j’ai fait l’étude des financements du génocide de l’époque – et je peux vous dire que ce qu’il s’est passé, la manière dont on a été complices de ce génocide, on n’a pas encore terminé d’écrire cette histoire-là [qu’]on est déjà devant un nouveau génocide, celui des Palestiniens, […] qui se passe de la même manière, complètement hypocrite et scandaleuse. […] A partir de là, moi je considère qu’on est rentrés dans une période de plus en plus complexe.

Mais on avait quand même des gouvernements qui nous assuraient une couverture sociale et une couverture associative, […] il y avait encore un respect pour les corps intermédiaires. Et vous, comme les ONG, ce sont les corps intermédiaires d’une société démocratique. Et […] c’est comme ça que vous avez l’occasion, aujourd’hui encore, d’être dans ces bureaux. Je ne sais pas pour combien de temps, parce qu’avec les gouvernements aujourd’hui, on est exactement dans l’inverse. 

[…] Il y a eu une reculade malgré des résistances extraordinaires – il ne faut pas se tromper : les gens ont résisté, les syndicats ont résisté. Mais on s’est mis dans une position, finalement, […] qui […] n’était plus dans l’avancée [mais] dans : « comment est-ce qu’on recule le moins vite possible ? ». Et on en est là aujourd’hui : […] on a à la tête de nos gouvernements […] partout en Europe, ce n’est pas caractéristique de la Belgique, […] des pouvoirs qui ont […] perdu réellement la capacité de gérer financièrement un Etat, dans le cadre d’un Etat de droit. Ils ont perdu la main […] [avec] la financiarisation de l’économie [qui], depuis les années 2000, […] s’est accéléré[e] à une vitesse sans précédent. Et, depuis les années 2010, […] ils ont commencé à appliquer ce qu’ils avaient appliqué au reste du monde. Il ne faut pas oublier qu’avec la Banque Mondiale, dans tous les pays du Tiers Monde, on avait déjà appliqué des ajustements structurels. Ajustements structurels qui faisaient qu’on parvenait à contrôler les gouvernements, à leur imposer les lois que nous voulions et leur imposer l’économie que nous voulions. Encore aujourd’hui, d’ailleurs, c’est comme ça. Et, en bref, cette financiarisation […] a conduit […] à une crise dès 2008 […], la crise des subprimes, et […] on a cru que toute l’économie capitalise était en faillite. On s’en est sorti, mais on s’en est sorti par des règles de privation, des règles de privatisation et des règles de contrôle sur les citoyens de plus en plus fortes. 

Et on n’en est pas sortis. On est vraiment dans cette situation et c’est extrêmement compliqué pour vous, pour moi, pour tous ceux qui pensent encore qu’on est dans une société démocratique. On est là, mais on est vraiment en train de penser « est-ce qu’on va réussir encore à survivre ? » Et c’est vrai pour le mouvement associatif, c’est vrai pour le mouvement syndical, c’est vrai pour l’ensemble de nos organisations d’éducation permanente […]. 

Et voilà, vous êtes là, alors je vous admire. […] Je vous [le] dis : il faut se battre. Mais il faut avoir une conception nouvelle, et peut-être qu’on ne l’a pas encore trouvée. Il y avait à l’époque un front […]. Aujourd’hui, le front n’est pas encore tout à fait construit. Il faut retravailler cette conception, […] on ne s’en sortira pas si on ne parvient pas à créer un front solide d’une gauche progressiste démocratique capable d’affronter ceux qui veulent s’approprier l’économie, la richesse, et cetera. Et ça, c’est un défi majeur, qui repose aussi sur notre conception de la société.

Et je terminerai, pour ne pas être trop long. Je pense à Angela Davis, parce qu’elle était en Belgique il y a deux ans. Elle parlait avec les jeunes […] pour leur dire : « mais vous devez reprendre la compétence de la résistance […] ». […] Elle avait discuté toute la journée avec PAC, avec le MOC […]. Elle était là, devant mille huit cents jeunes, elle se lève pour partir et […] elle se retourne, elle dit : « j’ai oublié de vous dire une chose : si vous voulez gagner, vous devez nécessairement être anticapitalistes, anticolonialistes et antiracistes » et elle est partie. 

Retenez cette phrase parce que je pense que c’est vrai, qu’il y a là un trépied essentiel si on veut redonner vie à nos sociétés, et surtout redonner espérance – espérance aux gens qu’ils peuvent regarder les autres comme étant leurs égaux. […] Ca, c’était la force des mouvements de l’époque. Il y avait ces conceptions de la fraternité. On pouvait s’engueuler mais on était fraternels. Recréer de la fraternité, recréer la conception de l’égalité, de la solidarité. Ca va être un travail énorme et il faudra savoir comment […] le faire ensemble, sinon on n’y arrivera pas. Parce qu’en face de nous aujourd’hui, ils ont pris des avances incroyables. L’Europe est devenue un instrument monstrueux. Madame von der Leyen est à la tête d’une entreprise de destruction de ce qu’est notre humanité en Europe […]. 

[…] Je vous l’ai dit tout à l’heure, on a commencé avec le Vietnam et on a été sur un autre moment de sommet, c’était la lutte contre l’apartheid […]. Et aujourd’hui, ce n’est pas pour rien que je le porte, la Palestine est devenue, dans le monde entier, le signe de ralliement. Alors, ce n’est pas simplement de dire qu’on se bat pour les Palestiniens, on se bat même pour nous-mêmes, pour éviter que la Palestine ne sombre complètement et qu’Israël ne soit plus qu’un noyau de fachos. 

Pour éviter tout ça, […] c’est un plan global qu’il faut avoir. La Palestine est porteuse d’un message et notre action sera la réponse que nous pourrons donner aux Palestiniens, surtout à ceux qui ont été sacrifiés aujourd’hui, dans un moment absolument incroyable où nos Etats, avec tous les principes d’humanisme et de solidarité qu’on prétend avoir, ont accepté le massacre de ces populations. Pour moi c’est impensable, inimaginable – imaginez, vous avez en face de vous des gosses. J’en ai vu plein dans le monde, des gosses. Vous voyez les côtes, ils ont faim, ils ont les yeux… complètement… avec des mouches, et cetera, et on trouvait à chaque fois des solutions. On faisait des campagnes mondiales et on apportait des moments de solution. Ici, c’est pire. Il y a des gosses en train de crever et à trois kilomètres de là, il y a […] les camions avec tout ce qu’il faut pour les secourir. Ca, c’est la déshumanisation de toute notre humanité pour un certain temps. Comment est-ce qu’on va confronter ça ? […] Moi, je vous souhaite de vous battre, de résister, de créer les noyaux de résistance et de fraternité qui vous permettront de gagner. 

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