Ce mercredi 29 juin 2022, lors de son Sommet à Madrid, l’OTAN a adopté un nouveau concept stratégique qui définira sa politique pour la décennie à venir. Ce nouveau document, servant de base pour l’orientation politique et militaire de l’alliance atlantique, contient de nouveaux éléments extrêmement problématiques et dangereux pour le maintien de la paix et de la stabilité internationales. Les déclarations des dirigeant·e·s accompagnant ce nouveau concept ne sont pas plus rassurantes et s’éloignent toujours plus de l’édification d’un système international réellement basé sur le multilatéralisme, le dialogue et la sécurité collective. Une analyse long-terme et une réflexion critique sur l’alliance atlantique est plus que nécessaire dans le champ démocratique belge, que ce soit au niveau de ses évolutions ou de ses interventions militaires.

Une organisation qui perpétue les rapports de force et de domination

Si, le communiqué du Sommet 2021 et le rapport « OTAN 2030 : Unis pour une nouvelle ère » pouvaient donner des indications sur les nouvelles tournures que désirait prendre l’alliance, nos craintes se confirment avec la sortie de ce nouveau concept stratégique. Les évolutions de l’OTAN sont diverses et majeures : l’intégration de l’espace, l’espace cyber et les attaques hybrides au champ d’application de son article 5 lié à sa défense territoriale, un renforcement de sa posture de dissuasion et de défense, la lutte contre le terrorisme comme partie intégrante à ses tâches transversales, la poursuite de (nouvelles) politiques offensives et militaristes, etc. Une nouvelle fois, l’adoption de ce nouveau concept stratégique permet à l’alliance atlantique d’outrepasser son mandat initial de défense collective, en élargissant son champ d’intervention et en s’octroyant des compétences toujours plus éloignées de son Traité fondateur. Pourtant, l’adoption des anciens concepts et les opérations militaires s’y rapportant, ont déjà démontré la dangerosité de tels approfondissements pour le maintien de la paix internationale et plus largement encore, l’inutilité et l’inefficacité de faire la guerre pour avoir la paix. Si d’emblée, le nouveau concept mentionne que « l’Alliance a une vocation défensive », une analyse plus détaillée et approfondie du concept et des déclarations qui l’entourent[1] démontre la mise en place de renforcements offensifs majeurs qui n’auront que pour effet d’alimenter le cercle vicieux de la militarisation et de renforcer le niveau de conflictualité et d’insécurité mondiale.

Délégitimation de l’ONU

Au fil du temps, l’OTAN s’est petit à petit construit son propre discours légitimateur en se présentant comme une institution indispensable à la sécurité en Europe et plus généralement à la sécurité internationale, se substituant aux Nations Unies. Même si, dans son nouveau concept, l’OTAN énonce rester « résolument attachée aux buts et principes de la Charte des Nations Unies », l’alliance supprime un passage pourtant essentiel suivant lequel l’OTAN affirmait : « la responsabilité primordiale du Conseil de sécurité de l’ONU dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales »[2]. Par ce geste, l’OTAN montre une volonté de plus en plus prononcée de s’affranchir des règles de droit international pour conserver sa liberté de décision et d’action. En même temps, l’alliance mentionne vouloir travailler « en étroite collaboration (…) » avec les Nations Unies et annonce sa détermination à « répondre à toute menace pour sa sécurité comme et quand elle l’entendra, dans le milieu de son choix, en utilisant des outils militaires et non militaires de façon proportionnée, cohérente et intégrée ». Il est pourtant de la responsabilité du Conseil de sécurité des Nations Unies de décider du type de mesures, coercitives ou non, à mettre en place afin de conserver la stabilité internationale. Il parait dès lors primordial de rappeler que les Nations Unies sont la seule organisation multilatérale, à visée universelle, qui peut prétendre être gardienne de la paix et la sécurité internationales. Toute autre organisation, quelle que soit sa nature et sa portée géographique, doit y être entièrement subordonnée, sous peine de saper le travail pour la paix et à la stabilité.

Frein au désarmement nucléaire

Alors que les négociations internationales battent leur plein pour parvenir à une élimination totale des armes nucléaires[3], l’alliance annonce renforcer sa posture de dissuasion et de défense, identifiée comme « clé de voute de son engagement pour la défense mutuelle ». Elle explique ainsi que la dissuasion, et donc la « sécurité de ses membres », est in fine assurée par les armes nucléaires. Elle poursuit, en énonçant que, « tant qu’il y aura des armes nucléaires, l’OTAN restera une alliance nucléaire », faisant fi des accords mondiaux de désarmement. Par ces déclarations, l’alliance néglige le caractère immoral (et désormais illégal)[4] des armes nucléaires et envoie le signal que posséder de telles armes fait partie d’une politique de sécurité. Ces déclarations violent l’esprit et la lettre du Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP), pourtant ratifié par les trois puissances nucléaires de l’OTAN, qui préconise de réduire la place des armes nucléaires dans les stratégies de sécurité. Tout en mentionnant son attachement au TNP comme « le principal rempart contre la dissémination des armes nucléaires », elle omet de mentionner les violations qu’elle commet à son encontre : le déploiement réaffirmé d’armes nucléaires étatsuniennes en Europe[5] ou encore le blocage des négociations en vue de parvenir à un désarmement nucléaire mondial. Or, ce regain d’intérêt de l’alliance pour les armes nucléaires débouchera sans aucun doute sur une escalade et sur des politiques inutiles et onéreuses d’entretien et de modernisation des arsenaux nucléaires. Pourtant, seule, l’élimination des armes nucléaires, via la ratification étendue du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), permettra de se débarrasser de la menace existentielle que font peser ces armes sur l’humanité.

La Belgique doit se distancier de l’OTAN

Il est grand temps que nos gouvernant·e·s s’unissent et orientent leurs efforts vers la construction d’une nouvelle architecture de sécurité commune en Europe, parfaitement politique, démocratique, et indépendante, qui soit basée sur la coopération, sur le dialogue multilatéral et sur le respect strict du droit international, du droit international humanitaire et des droits humains. Il en va de l’intérêt de la Belgique et de l’Europe. Soumise depuis trop longtemps aux cadres de pensée de l’OTAN, la Belgique doit s’en distancier. Au niveau national, les budgets militaires doivent être réduits pour être reversés au profit des secteurs sociaux frappés, depuis trop longtemps, de plein fouet par les coupes budgétaires. Au niveau international, des moyens doivent être alloués aux Nations Unies pour qu’elle puisse réaliser ses objectifs de paix et de sécurité et disposer d’une réelle possibilité d’action sur les questions d’importance mondiale, nécessitant des réponses mondiales telles que le changement climatique, les phénomènes migratoires ou encore l’accès universel aux systèmes de protection sociale, de santé et d’éducation.Contact presse : Elisabeth Mabil (0498/16.26.37)[1] « Le Sommet de Madrid se clôt sur sur des décisions très importantes visant à transformer l’OTAN », disponible sur  https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_197574.htm[2] Concept stratégique 2010, disponible sur https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_82705.htm[3] Traité des Nations Unies sur l’interdiction des armes nucléaires, entré en vigueur le 22 janvier 2021. Disponible sur https://treaties.un.org/doc/Treaties/2017/07/20170707%2003-42%20PM/Ch_XXVI_9.pdf[4] « Carte blanche sur l’interdiction des armes nucléaires : « La Belgique persistera-t-elle à être un Etat voyou?» disponible sur https://www.lesoir.be/333921/article/2020-10-26/carte-blanche-sur-linterdiction-des-armes-nucleaires-la-belgique-persistera-t[5] Stationnées notamment en Belgique, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie.

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