Pourquoi la répression contribue à amoindrir l’efficacité de la réponse , voir même à créer une réponse contre-productive par rapport au phénomène terroriste ?

  • Un effet de dispersion de la réponse pénale;
  • Le renforcement du phénomène.
La dispersion de la réponse pénaleL’écrasante majorité des faits de terrorisme ne sont que des faits d’association de malfaiteur – le fait d’avoir préparé la coalition d’actes terroristes – . Ça permet de lancer un filet pénal de manière extrêmement large. Il suffit de participer un jour à une réunion où il y a un type pas très net, voir un peu fanatique, qui s’intéresse à une personne hors de la réunion qui peut fabriquer des explosifs et qui connait une troisième personne qui est en Syrie. Le premier pourrait être incarcéré en garde à vue, alors qu’il était juste présent à la première réunion. On va étendre totalement le champ qui va conduire à une dispersion de l’attention du pouvoir répressif qui est consécutif à l’incrimination même. Donc on se retrouve dans l’extensibilité intrinsèque à l’infraction terroriste. Cette tendance s’est calmée ces dernières années à la faveur d’une obsession du terroriste dans les pouvoirs publics et elle a été aggravée par de nouvelles infractions qui ont été réalisée en France. En 2014, on a créé l’entreprise individuelle terroriste pour répondre au cas de figure de la personne qui prépare un tel dispositif, seul. Alors qu’il aurait pu être incriminer par le simple fait de préparer des explosifs. La dimension terroriste est ajoutée et par conséquent,  le champ d’attention des pouvoirs publics est étendu et symptomatique. En 2014 le gouvernement français a fait sortir d’une loi de 1984 l’infraction d’apologie de crime terroriste. C’est-à-dire le fait présenter des crimes terroristes qui en pratique se résume à dire : « Vive Daesh » ou  « Kouachi-Kouachi » (cfr: le massacre de Charlie Hebdo). Il y a là une étendue de l’infraction au simple fait de dire des propos légitimant des terroristes. Et dernière extension en date :  la loi du 3 juin 2016 à créer le délit de consultation de site terroriste qui incrimine le simple fait cliquer sur un site terroriste régulièrement. Mais ce délit a été censuré par le conseil constitutionnel français en février, mais les parlementaires ont immédiatement rétabli le délit dans une forme quasiment identique ce qui pose encore d’autres problèmes du point de vue de l’Etat de droit.Finalement ça provoque un effet de dispersion, on va voir des terroristes partout, on va avoir un effet de démultiplication de cibles potentiels, un effet d’épuisement des forces de l’ordre (qui a été amplifié depuis l’instauration de l’Etat d’urgence) et puis on amoindri la capacité à identifier le terroriste avéré. Celui qui projette un attentat sous peu. Si tout est terroriste, comment je vais faire pour identifier ce qui est vraiment terroriste ? Ça c’est l’effet de dispersion de la réponse pénale.Le renforcement du phénomène qu’on prétend combattreDeuxième problème de l’efficacité, c’est le renforcement du phénomène. On va aboutir paradoxalement à l’élargissement du phénomène qu’on veut combattre. Pourquoi ?Premièrement parce que ce sont des projets qu’on arrête, il n’y a pas de passage à l’acte avéré puisqu’ils sont arrêtés avant. La qualification terroriste et la médiatisation de ces faits-là provoquent l’effet terrorisant ou/et l’amplifient. Par exemple le 18 mars à Orly, un passant a voulu arracher l’arme d’un militaire et s’est fait abattre par les autres militaires. Pendant vingt-quatre heures les séquences médiatiques ont défilé « Attaque terroriste à Orly,… ». Alors que les médias auraient pu dire qu’un forcené suicidaire a voulu s’emparer de l’arme d’un militaire.  Le fait de présenter des actes comme terroristes permet de créer un impact plus important que ce qu’il est: un individu qui a commis des violences sur un militaire. Le fait de dire « terroriste » amplifie l’effet terrorisant.

Deuxièmement même lorsqu’on a des faits qui sont très graves et terrorisant il y a un renforcement du problème. Pourquoi ? D’une part, parce qu’on avoir un effet de collusion avec d’autres qualifications terroristes dans d’autres parties du monde. Après le Bataclan, l’une des premières réactions était Bachar Al-assad  : « vous voyez, moi c’est ce que je subis depuis deux ans en Syrie ». Et effectivement on peut parler de terrorisme dans les deux cas. Quand il y a qualification d’un attentat terroriste il va y avoir un effet de collusion sémantique avec des gens qui utilisent les notions du terrorisme notamment dans les pays a culture musulmane pour pénaliser et réprimer tous leurs opposants, on va créer un problème d’amalgame d’autant plus qu’on coopère militairement ou judiciairement avec ces pays. Par exemple on coopère avec l’Egypte, Etat pour lequel les terroristes sont ceux qui ne sont pas en adéquation avec le pouvoir en place. D’ailleurs la Cour européenne des droits de l’Homme censure notamment l’article 3 qui prévient la torture et le mauvais traitement. Elle censure les Etats qui ont remis de manière inconsidérée les gens qui ont fait partie de l’extradition pour des faits de terroriste (l’Egypte, la Libye) ou on disait que les terroristes étaient des opposants politiques. Tout ça va alimenter la rhétorique du mouvement criminel comme Daech pour dire notamment « ils sont tous corrompus parce qu’ils collaborent main dans la mains avec les Etats qui ont des pratiques répressives. Ils utilisent la notion de terrorisme pour incriminer nos politiques. » Ça ça renforce le phénomène.2ème élément encore plus important. Dans les années 1970 le terrorisme servait à disqualifier les mouvements d’oppositions politiques. C’était le cas des anarchistes, de Mandela,  en Irlande du Nord,… Cependant ça a provoqué l’effet inverse, c’est à dire que parler de faits de terrorisme avec tout ce qu’il y a derrière, avec tout cette travaillisation qui va amplifier l’echo terrorisant on va élever un nouveau politique du monde criminel . Daech, c’est une bande criminelle dans une structure largement mafieuse, tous les éléments sont là : une prétention à un territoire, des fluxs financiers important mais dès que nous les qualifions de terroristes, nous les emportons dans une dimension politique qui devient un simple fait de la notion de terrorisme mais nie quelque chose qui est menaçant qui est presque de jeu égal avec l’Etat, le terrorisme démocratique,…

En terme d’effet de recrutement ça joue énormément, si on disait que Daech était une bande de mécréants ou une bande de criminels ça serait beaucoup moins glorieux. Mais si on fait passer Daech comme l’ennemi de la civilisation occidentale, on va arriver à un pouvoir de séduction beaucoup plus fort auprès d’une jeunesse en ignorance et un pouvoir de séduction beaucoup plus fort de ces groupes criminels.

Troisièmement : Le basculement dans la criminalité terroriste ou dans la qualification d’activité terroriste conduit à une répression qui est démesurée. Alors pas dans les infractions de grande ampleur (Bataclan – Bruxelles) il est normal qu’il y ait des peines importantes dû à la gravité des crimes. Le problème c’est tous les autres, notamment les 7 et 8ème couteau dans les associations de malfaiteurs terroristes ou des gens qui ont simplement consulté les sites de Daech. En France actuellement nous sommes à quatre ans d’emprisonnement. Le pire situation connue est la personne à qui on casse la porte à cause de l’Etat d’urgence. Sous le coup de la colère il a dit aux policiers « que les terroristes avaient eu raisons de faire ce qu’ils ont fait au Bataclan ». C’est une réaction idiote, mais la personne a directement été placée en garde à vue pour collaboration immédiate et a récolté 2 ans de prison. Alors que l’infraction n’aurait pas été commise si les policiers n’avaient pas été cassé sa porte dans le cadre de l’état d’urgence. Une réponse complètement grotesque, complètement folle, et complètement démesurée. Et donc on se retrouve dans une situation où le mot terroriste fait office de disjoncteur. Dès qu’on place ce mot, littéralement les plombs sautent et les réflexes que le juge doit avoir pour garantir la modération de la répression sautent. Et du coup nous avons cet effet de répression démesurée qui en plus d’être stigmatisant car l’élément qui va déclencher la mesure de la perquisition administrative est le fait que la personne soit perçue comme une personne qui a des pratiques intégristes, ou rigoristes d’une religion. Et ça si ça n’alimente pas la radicalisation qu’on prétend combattre, qu’est ce que ça alimente? Des gens qui ne sont pas terroristes et qui subissent ce genre de fait. Il y a de fortes chances qu’au bout de deux à sa sortie de prison il soit sinon terroriste, singulièrement énervé et singulièrement en mesure de commettre des faits punissables. Encore une fois, il y a un renforcement du phénomène.

Pour conclure, je considère que nous n’avons que des intérêts du point de vue de l’Etat de droit démocratique à sortir de ces catégories et à supprimer cette dimension. Il faut la bannir, ça permettrait d’éviter des récupérations politiciennes, ça permettrait d’avoir un traitement adapté à tous les faits – qui peuvent être très divers – qu’on met dans la catégorie du terrorisme. Par exemple il y a peu de chose commune entre le Bataclan et le massacre de Nice. Ce sont des profils complètement différents qui nécessitent des traitements totalement différents. Et donc on pourrait éviter ce cercle vicieux qui fait qu’on ne sait pas où ça va s’arrêter.


L’idéologie sécuritaire étend sans fin le champ du pénalement répréhensible. Cette escalade conduit pourtant à une paradoxale impuissance répressive.Par Vincent Sizaire, Magistrat, maître de conférences à l’université Paris-Ouest-Nanterre-la Défense, auteur de Sortir de l’imposture sécuritaire, La Dispute, Paris, 2016.

Conférence terrorisme et ses mots : 24 mars 2017Ecouter la conférence : c’est par ici

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