(Christophe Wasinski, Université libre de Bruxelles)Au mois de février 2018, dans le contexte des commémorations de la Première Guerre mondiale, les forces armées belges ont mené une opération « Poppy Flight »[1]. Dans le cadre de cette opération, un hélicoptère Agusta A-109 de la Défense s’est rendu dans 11 écoles des chefs-lieux de province et en Région bruxelloise afin de distribuer, dans chacune, un colis de livres pouvant être utilisés pour des cours sur la guerre et la paix. L’opération consistait ensuite à établir un relais en hélicoptère entre les écoles. Concrètement, deux élèves par établissement montaient dans l’hélicoptère et volaient jusqu’à l’école suivante où ils passaient un coquelicot (« poppy ») témoin à deux autres jeunes.Rappelons que le « poppy », ou coquelicot, est une référence au poème In Flanders Fields écrit par un officier canadien en hommage au décès d’un camarade pendant la Première Guerre mondiale. Actuellement présenté comme un symbole de paix, le coquelicot dont il est question dans ce poème a en fait été utilisé pour valoriser l’esprit de sacrifice dans la propagande lors du conflit[2]. On s’interrogera donc sur la pertinence du choix de ce symbole comme message de paix. Les choses deviennent cependant beaucoup plus claires lorsque l’on apprend que l’opération « Poppy Flight » a aussi été pensée par les militaires comme un outil de promotion des carrières au sein des forces armées belges.L’hélicoptère n’est cependant pas le seul moyen utilisé pour séduire les mineurs dans les écoles. En septembre 2018, la Défense expose un chasseur-bombardier F-16 dans une école de l’entité de Mettet, permettant à 320 élèves de voir la machine[3]. Interviewé par un journaliste de la RTBF à ce propos, un lieutenant-colonel belge reconnait que cette action est destinée à faire la promotion de la Défense auprès des jeunes.Plus spectaculaire encore, et bien plus interpellant, des exercices militaires antiterroristes menés dans deux écoles. Le premier de ces exercices a eu lieu en mars 2016 dans une école primaire à Han[4]. Lors de cet entraînement, les militaires devaient appréhender trois « terroristes » à l’intérieur des bâtiments scolaires. Ils procédaient également à l’évacuation des 130 élèves de l’établissement. Après l’opération, les militaires ont organisé une exposition de leur matériel pour les enfants.Le second exercice de ce type s’est tenu à Nivelles le 20 septembre 2018. Dans le contexte de leurs entraînements : « Des militaires ont eu l’ordre d’entrer dans les caves [du collège Sainte-Gertrude], afin de libérer deux (faux) otages aux mains des ennemis »[5]. D’après la presse, une centaine de soldats ont été impliqués dans l’exercice. Certains d’entre eux ont pénétré dans un bâtiment en simulant des tirs. Les faux otages ont traversé le terrain de sport de l’école, escortés par des militaires cagoulés, armés, casqués. Ils ont ensuite été évacués dans un hélicoptère qui s’était posé sur le même terrain de sport.La presse nous apprend par ailleurs que : « Le tout s’est passé sous les yeux des élèves de l’école secondaire, placés à l’écart pour assister au décollage de l’hélicoptère au sein de l’école. Ceux des classes primaires avaient vu leur récréation décalée pour se trouver à l’intérieur et en sécurité lors de cet exercice. C’est que, même avec les avertissements d’usage, certains des plus jeunes enfants risquaient de prendre peur et il a donc été décidé qu’ils n’assisteraient pas à ces scènes avec des hommes armés ouvrant le feu à l’intérieur de l’établissement »[6]. Pour être complet, notons que l’exercice implique aussi l’institut de l’Enfant Jésus où les militaires ont mis la main sur une cache d’armes factices.Les actions des militaires et l’attitude des directions des écoles impliquées dans les événements évoqués ci-dessus soulèvent bien des questions. Tout d’abord, dans le cas des commémorations de la Première Guerre mondiale, user d’un message de paix afin de promouvoir les forces armées auprès de mineurs à l’intérieur de leurs écoles est d’un cynisme inouï. L’école, plutôt que d’éduquer et protéger les jeunes, aura en fait contribué à les exposer à la propagande de l’institution militaire. Par ailleurs, en ce qui concerne les cas des écoles de Han et Nivelles, on peut se demander comment les enseignants pourront encore donner cours sérieusement et de manière critique à leurs élèves sur la guerre après que leurs établissements aient activement contribué à la spectacularisation de la violence militaire dans l’enceinte même de l’école ?De façon plus générale, ajoutons qu’il est grotesque de penser que les élèves comprendront mieux l’horreur qu’a été la Première Guerre mondiale grâce à un baptême de l’air en hélicoptère. Il est par ailleurs anormal d’avoir dû confiner des élèves dans leur école à Nivelles car celle-ci était rendue potentiellement traumatisante pour eux du fait d’exercices militaires. Enfin, on notera que les militaires qui ont opéré dans l’école de Han, les Chasseurs Ardennais, n’ont a priori pas vocation à mener d’opérations antiterroristes de ce type sur le territoire national – celles-ci étant d’abord du ressort des forces de police, voire de certaines unités des forces spéciales. L’opération d’évacuation n’est donc nullement comparable aux « exercices incendies » réalisés sous la supervision des pompiers qui, eux, contribuent à la sécurité des élèves. Non seulement cet exercice n’avait aucun intérêt pédagogique pour les élèves mais il risquait en plus de les perturber sur le plan psychologique.Pour le dire autrement, les hélicoptères et exercices militaires n’ont pas leur place dans les cours de récréation des écoles primaires et secondaires.(Christophe Wasinski, Université libre de Bruxelles)[1] Françoise Dubois, « Ans : la Défense atterrit à l’Athénée pour un message de paix », RTBF.be Info, 1er février 2018.[2] Voir par exemple : Frank McNally, «Widow’s weeds – An Irishman’s Diary about poppies, war, and John McCrae », The Irish Times, 27 janvier 2017.[3] « Le lieutenant-colonel Villano espère susciter quelques vocations parmi les élèves de Mettet », 12 septembre 2018 (www.vivreici.be/commune/5650/videos/detail_le-lieutenant-colonel-villano-espere-susciter-quelques-vocations-parmi-les-eleves-de-mettet?videoId=113577).[4] Nicolas Lembrée, « Exercice militaire à l’école de Han », MATELE, 2 mars 2016 (www.matele.be/exercice-militaire-a-l-ecole-de-han).[5] V.F., « Exercice militaire à Nivelles : des otages évacués des caves du collège », La Dernière Heure, 20 septembre 2018.[6] Ibid.

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