A l’occasion du retour d’un conflit armé sur le territoire européen, la guerre fait à nouveau régulièrement la une des médias européens depuis près d’un an. Une dimension centrale aux conflits est pourtant absente du débat public : le lien entre l’environnement et les conflits. Ces enjeux revêtent pourtant une importance cruciale, à l’heure où les impacts de la crise écologique, mais aussi les réalités de la transition énergétique amorcée par les grandes puissances, promettent de redessiner certains équilibres géopolitiques. D’autre part, chaque conflit, et c’est particulièrement vrai dans le cas de la guerre en Ukraine, porte son lot de dégradations environnementales.

Inhérentes aux guerres menées depuis l’aube de l’humanité (pensons à la fameuse politique de la terre brûlée), ces dégradations ont pris un nouveau tournant dans la deuxième partie du XXe siècle, période durant laquelle 90 % des conflits armés majeurs ont eu lieu dans des pays qui abritent des hotsports de biodiversité, comme l’a montré le biologiste américain Thor Hanson dans une étude d’une ampleur inédite[1]. L’exemple de l’agent orange, largement utilisé par les forces armées américaines pour raser les forêts vietnamiennes, est un exemple particulièrement frappant de ces impacts environnementaux de la guerre. Le conflit russo-ukrainien ne fait pas exception à la règle. Les attaques menées par Moscou depuis le début du conflit sur des installations industrielles et énergétiques ont généré des fuites et émanations de produits toxiques, contaminant durablement les sols et les eaux ukrainiennes (cours d’eau, lacs et mer). Les activités militaires ont par ailleurs transformé des écosystèmes particulièrement riches, habitats de milliers d’espèces animales et végétales, en zone de guerre. Or la reconstruction environnementale ne pourra pas se faire au même rythme que celle des infrastructures. Selon Yevheniia Zasiadko, qui dirige le Département du climat du Centre pour l’initiative environnementale ukrainienne Ekodia : « il faudra quarante voire cinquante ans pour revenir au stade initial. »[2], tandis que d’autres dégâts pourraient bien être tout simplement irrémédiables.

Au-delà de l’inquiétante destruction des ressources naturelles, les conflits armés font peser la menace d’une fragilisation des institutions qui gèrent ces ressources, et plus largement des politiques environnementales dans leur ensemble. Il est ainsi crucial de s’assurer que la priorité accordée par certains Etats à la sécurité ne se traduisent pas par un sous-investissement dans la transition écologique.

Cette contribution des conflits armés à la crise écologique est d’autant plus préoccupante que les déstabilisations environnementales peuvent précisément contribuer à l’avènement de… nouveaux conflits. Le dérèglement climatique agit en effet dans une certaine mesure comme un multiplicateur de menaces pour la sécurité. Chaque conflit revêt bien entendu une explication multifactorielle, non-réductible aux seuls facteurs environnementaux, mais ceux-ci sont parfois amenés à jouer un rôle significatif dans le déclenchement des conflits. Le manque d’accès à certaines ressources, causé par la situation climatique et/ou une distribution inégale de celles-ci peut par exemple générer des tensions internes, en renforçant des déstabilisations politiques, sociales ou économiques préexistantes. Au Moyen-Orient, les situations de stress hydrique ont ainsi contribué à la fragilisation des communautés locales. Des conflits internationaux peuvent également advenir en raison de la compétition entre deux acteurs étatiques pour le contrôle d’une ressource, ou en raison de conflits internes dans un autre Etat. En l’absence de structure de gouvernance adéquates, la transition énergétique pourrait par exemple attiser certaines tensions autour des matières premières critiques. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies est bien conscient de ces risques environnementaux pour la sécurité. En août 2021, l’organisme international s’inquiétait ainsi des « effets néfastes des changements climatiques, des changements écologiques et des catastrophes naturelles, notamment la sécheresse, la désertification, la dégradation des terres et leurs conséquences en termes d’insécurité alimentaire, entre autres facteurs, sur la sécurité et la stabilité en Afrique de l’Ouest et dans la région du Sahel. »[3]. 

Les facteurs environnementaux peuvent non seulement déclencher des conflits armés, mais aussi contribuer à les entretenir. C’est ainsi que l’exploitation de ressources naturelles par des forces armées participent au financement de certains conflits, comme c’est le cas avec les hydrocarbures russes. Les facteurs environnementaux peuvent aussi nuire au rétablissement d’une paix durable au sortir du conflit dans le cas d’une mauvaise gestion des ressources naturelles.

Face à ces défis, il convient d’adopter une nouvelle approche sécuritaire. L’une des pistes pour le faire réside dans le concept de sécurité environnementale, regroupant la sécurité des écosystèmes et du climat mais aussi la gestion des risques environnementaux pouvant mener à des situations conflictuelles. Dans ce cadre, il importe de substituer la perspective de puissance par la nécessité d’une résilience face à ces insécurités environnementales, une approche mieux à même d’appréhender la fragilité de nos sociétés face à ces chocs et leurs capacités à les surmonter. La résilience doit être comprise non pas comme le retour à la situation précédent les chocs, situation qui porte en elle les germes de ces crises, mais comme un concept intégrant des processus de changements visant à maintenir des institutions performantes et fournir des services de base pour la stabilité politique et la prévention de la violence.

Au-delà des seules structures politiques, l’approche de la sécurité environnementale plaide pour une intégration plus large de l’ensemble des acteurs de la société dans le champ de la sécurité et de la paix. Les citoyens, les communautés locales mais aussi les représentants de la société civile devraient ainsi être inclus dans les accords de résolution des conflits, y compris dans la mise en place des dispositions relatives à la gestion des ressources naturelles et à l’atténuation des conflits environnementaux, des problématiques qui doivent être centrales chacun de ces accords.

Un changement de paradigme de la sécurité s’impose donc, qui implique davantage de participation de la société ainsi qu’une prise en compte renforcée des ressources naturelles et des enjeux environnementaux dans la prévention, la gestion et la résolution des conflits, conditions indispensables à l’avènement d’une paix durable.

 Raphaël Dahl

Chercheur associé Etopia

[1]https://www.jstor.org/stable/29738774

[2]https://etopia.be/blog/2022/09/02/voix-de-lest-3-4-yevheniia-zasiadko-dans-le-cadre-environnemental-il-faudra-40-voire-50-ans-pour-revenir-au-stade-initial/

[3]https://press.un.org/fr/2021/cs14605.doc.htm

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.