La part des opinions 



Par ailleurs, en s’attardant plus concrètement sur les opinions mêmes de certains journalistes, on remarque des prises de positions émotives, soit, mais dérivant rapidement sur des questionnements rhétoriques :

 

La paix n’intéresse pas le Hamas. Ce groupe terroriste ne vise qu’à anéantir Israël, par le sang. Le présenter comme un mouvement de résistance face à l’oppresseur est inaudible, scandaleux. Qui se permettrait de justifier les atrocités du Bataclan, de l’Hyper cacher, du 11 septembre ou encore des différents attentats perpétrés à Bruxelles ? Qui ?1

 

Sur ces dix dernières années, Israël est plus terroriste que le Hamas”. Dixit Raoul Hedebouw, président du PTB et député fédéral. Et ce, à peine dix jours après l’attaque massive du Hamas sur les civils israéliens. 

 

Ou encore quand est pris à partie Raoul Hedebouw (président du PTB) après une déclaration dénonçant Israël comme étant plus ‘terroriste’ que le Hamas :

 

Mais quel naufrage ! Naufrage intellectuel d’abord. Naufrage moral ensuite. Si Raoul Hedebouw est un homme intelligent et un fin stratège politique, pourquoi ne parvient-il pas à différencier l’État d’Israël du groupe terroriste Hamas ? Il suffit pourtant d’entendre et de voir les témoignages de tortures, de barbarie abjecte, de crimes contre l’humanité et de violences inouïes envers des enfants. Nous préférons d’ailleurs ne pas tous les détailler ici tant ces récits dégoûtent et leurs images traumatisent2

 

L’émotion n’est pas en soi condamnable déontologiquement pour un journaliste, mais seulement si elle ne cherche pas à pallier un manque d’argumentaire. En l’occurrence, la condamnation systématique, en France comme en Belgique, des différents partis de gauche, à partir du moment où ceux-ci osaient apporter de la nuance et un contexte dans leurs prises de position, est très parlant. Si le communiqué de presse de LFI sur le 7 octobre est légitimement qualifiable de maladroit, il est néanmoins le seul à avoir appelé à un peu de retenue ; à l’instar du PTB rappelant justement le poids des crimes israéliens dans la balance.

 

Plus encore, lorsque la plupart des auteurs ne cessent de mettre dos-à-dos les morts israéliens avec ceux palestiniens dont la différence ne cesse toujours de croître après des mois de conflits : comment ne pas ressentir un certain malaise? Un dérangement rejoint par Pieter Lagrou (Professeur d’histoire contemporaine, Université Libre de Bruxelles) dans les pages du ‘Soir’: “Nous sommes donc, depuis le 7 octobre face à deux atrocités d’un autre ordre et d’une autre nature. L’une et l’autre doivent être dénoncées, mais un débat qui part de l’exigence de condamner les deux à parts égales et dans les mêmes termes ne peut qu’être absurde. Nous n’assistons pas seulement à un dialogue de sourds, mais à une escalade qui est dangereuse pour la démocratie, où les accusations de racisme, d’antisémitisme, d’islamophobie, de fanatisme, d’apologie du terrorisme et de génocide fusent.3

 

La puissance des termes



Dans la continuité du point précédent, il est essentiel de s’attarder sur le débat autour de l’utilisation de l’appellation ‘terroriste’, une terminologie aux conséquences qui semblent insoupçonnées par beaucoup de journalistes. Ainsi, si l’Union européenne classifie depuis 2001 le Hamas comme une organisation terroriste, un tel consensus n’est pas de mise en Asie et en Amérique latine par exemple. Cela est dû aux multiples définitions données au ‘terrorisme’. A ce titre, Iris Lambert4 (Doctorante en sciences politique et relations internationales et rattachée au Centre de Recherches Internationales) note : “(qu’) En dépit de ces concours de définition, la recherche a produit un certain nombre de descripteurs du terrorisme. Ces éléments-clés s’apparentent à l’utilisation de la violence physique létale, au caractère politique de l’acte terroriste et de son aspect communicationnel. Enfin, comme le suggèrent les décisions portées par le droit international, le ciblage de non-combattants semble central”. Par conséquent, si l’on souhaite qualifier les actes du Hamas de ‘terrorisme’, la rigueur intellectuelle tiendrait à ce qu’on en fasse de même concernant Israël pour ces actes. Également, sous cette même logique, il serait paradoxal pour Israël de condamner sans condition le Hamas alors que l’Etat participe stratégiquement à son financement afin de maintenir une séparation entre les branches politiques gazaouie et cisjordanienne5. La devise d’Israël devrait ainsi être renommée en référence au célèbre adage : “diviser pour mieux régner”. Dans cette continuité, Sylvain Cypel, dans son ouvrage “L’Etat d’Israël contre les Juifs”, a mis en avant les actes de terreur ordinaires orchestrés stratégiquement et systématiquement par l’armée israélienne à des fins de soumission de la population palestinienne. 

 

En outre, Lambert souligne la portée symbolique du terme : “Ainsi, parler du terrorisme comme d’une monstruosité revient, si on suit la logique propre à la transposition du vivant au moral, puis au conceptuel, à en faire une dynamique fondamentalement extrinsèque à nos systèmes politiques et éthiques et face à laquelle les règles habituelles de retenue et de protection ne s’appliquent plus”. Comment, dès lors, est-il envisageable de débattre quand une des deux parties est ‘contrôlée’ par une monstrueuse entité qu’elle a elle-même soigneusement mise à sa tête dès 2006? La dangerosité autour de la cécité provoquée par l’emploi du terme n’entend pas appréhender une situation à la complexité inhérente à chaque conflit. 

 

Par ailleurs, la catégorisation « terroriste » permet de réduire des dynamiques sociales et politiques à des événements uniques et choquants. […] La nouvelle séquence de violence armée entre le Hamas et Israël est ainsi « réduite » à l’attaque du 7 octobre, sans que ne soit pris en considération le temps long du conflit, à savoir ici plus de soixante-dix ans, caractérisés par de nombreuses convulsions armées et une asymétrie de puissance en faveur d’Israël, tant sur le plan diplomatique que sur le plan militaire”. Iris Lambert rejoint par là nos conclusions en amont traitant du présentisme. Plus concrètement, la chercheuse remarque des effets désastreux sur la capacité critique de l’opinion publique : “Petit à petit, ceux qui soutiennent les buts et les objectifs – sans nécessairement soutenir les méthodes – d’un groupe dit terroriste sont considérés comme des complices et doivent être punis, poursuivis pour des faits politiques, comme la participation à des manifestations ou à des campagnes d’activisme, davantage que pour de réels actes criminels. Ces amalgames invisibilisent les subtilités partisanes au sein même des électeurs de Gaza dont le soutien au Hamas reste partiel, fluide et mouvant comme toute opinion publique”. Le comble peut finalement s’apprécier au travers du fait que  : “[…] l’expulsion des « terroristes » du champ moral des Etats et de la communauté internationale isole diplomatiquement les acteurs violents et limite toute possibilité d’accords permettant des cessez-le-feu puis des accords de paix qui pourraient s’attaquer aux causes socio-politiques du conflit en proposant des mesures de rétablissement d’une certaine forme de justice sociale et politique”. En ce sens, le cas de normalisation des FARCS par les autorités colombiennes est par exemple édifiant comme preuve empirique que le dialogue permet des avancées (voir encadré).



Les accords de paix signés en 2016 en Colombie par le gouvernement et la guérilla des FARC-EP ont notamment permis l’abandon de la terminologie ‘terroriste’ faisant pourtant la norme depuis 2001. Ce processus a permis la mise en place d’une justice restaurative et transitionnelle au travers de la Juridiction spéciale pour la paix (JEP). Sans signifier l’abandon des poursuites, la requalification a ouvert la voie à des condamnations plus justes et graduelles selon les faits commis, pouvant atteindre le crime contre l’humanité. De plus, l’Etat et ses agents ont pu être jugés pour leurs actes et massacres perpétrés. Comme le rappelle Iris Lambert, il est à ce propos essentiel d’organiser une justice équitable si elle se veut génératrice de paix à long terme.



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Finalement les grandes lignes de cette enquête sont assez claires. En somme, un traitement plutôt juste de la question israélo-palestinienne est mis en œuvre jusqu’à une certaine mesure. Néanmoins, les faits exposés plus hauts rappellent que la vigilance doit toujours rester de mise pour les journalistes concernant le traitement de l’information, en particulier celle transmise par leurs soins. Si leur rôle est évidemment crucial pour éclairer les faits, les récents mois ont prouvé que l’usage des réseaux sociaux par une partie plutôt jeune de la population leur a permis de jouir de sources informationnelles plus primaires et évocatrices. Malgré le miasme propagandiste alimenté par les deux parties, les vidéos de civils palestiniens, tout comme celles dévoilant le manque d’humanité des soldats de l’IDF, ont pu lever le voile d’une bonne partie de l’opinion publique sur l’impunité et la violence israélienne. Face à cela, si les journalistes de presse écrite souhaitent conserver un semblant de crédibilité, il serait bon pour eux de s’adonner à une relecture de la Charte de Munich.


1. Condamner l’abject, sans retenue - La Libre

2. Le naufrage du PTB - La Libre

3.Carta Academica : La guerre juste, de Boutcha à Rafah - Le Soir

4. Hamas : risques et périls de l'appellation « terroriste » | Sciences Po CERI

5. Conflit israélo - palestinien : que sait-on du financement du Hamas ? - BBC News Afrique


Roméo CHEVAUX

Article 3/3





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